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Chapter 30 - Chapitre 2 –Le trou noir que je déposais sur toi

**Chapitre 2 –Le trou noir que je déposais sur toi**

Je suis Samuel.

Celui que vous détestez.

Celui qui vous a fait peur.

Celui qui vous a brûlé le bras, qui vous a forcé à manger par terre, qui vous a filmé en larmes.

Oui, c'est moi.

Je rentre.

Je sais déjà ce qui m'attend.

La porte claque.

Maman me regarde comme si j'étais une tache sur le mur.

« T'as été viré ? T'as encore fait le con ? »

Je n'ai pas le temps de répondre.

Gifle.

Si forte que j'entends ma joue claquer.

Papa arrive, ceinture à la main.

« T'as frappé un gosse ? T'as brûlé quelqu'un ? T'es vraiment le fils de pute que je pensais. »

Il me cogne.

Dos.

Ventre.

Jambes.

Je tombe.

Je ne bouge pas.

Je ne crie pas.

Je ne pleure pas.

Parce que je ne peux pas être faible.

Jamais.

Si je pleure ici, je suis mort.

Si je craque ici, le trou noir me bouffe tout de suite.

Ils me traitent de merde, de déchet, d'erreur.

Ils me disent que j'aurais jamais dû naître.

Je l'ai entendu mille fois.

Je l'ai cru mille fois.

Ils me jettent dans ma chambre.

Porte fermée à clé.

Et là, seul, je vous parle.

À vous qui lisez.

À Eliott.

À moi-même.

Je hais être faible.

Je hais ça au point où ça me tue à petit feu.

Quand ils me frappent, quand ils me crachent dessus, je sens la dépression qui monte, noire, énorme, qui me dit « saute par la fenêtre, avale les cachets, coupe-toi les veines ».

Je sens que je vais disparaître.

Que je vais me tuer ce soir.

Alors je sors.

Je trouve quelqu'un de plus petit.

Je le frappe.

Je l'humilie.

Je le brûle.

Et pendant dix minutes, je suis fort.

Je suis vivant.

Je suis le roi.

Le trou noir recule.

Je respire.

C'était mon seul remède.

Mon seul moyen de ne pas me briser.

Je vous ai pris pour médicament.

Je vous ai pris pour pansement.

Je vous ai pris pour bouclier.

Mais aujourd'hui le remède est fini.

Je n'ai plus personne à frapper.

Je n'ai plus personne à détruire.

Il n'y a plus que moi.

Et le trou noir est revenu.

Plus grand que jamais.

Je suis juste un gamin de 15 ans qui a peur de mourir.

Je suis juste un gamin qui frappe les autres pour ne pas se frapper lui-même.

Je suis juste un gamin qui fait le monstre parce que être la victime, ça fait trop mal.

Je suis allongé sur le carrelage froid.

Le dos brûle.

La joue pulse.

Je sens le sang sécher au coin de ma bouche.

Je ne bouge pas.

Je ne veux pas bouger.

Bouger, c'est déjà essayer de tenir debout.

Et je n'ai plus envie de tenir debout.

Je pense à Eliott.

Je pense à son bras que j'ai brûlé.

Je pense à sa peau qui cloquait.

Je pense à son hurlement.

Et je me dis :

*J'ai aimé ce hurlement.*

Pas comme un sadique.

Non.

J'ai aimé parce que pendant trois secondes,

ce n'était pas moi qui hurlais à l'intérieur.

C'était lui.

Et moi j'étais calme.

Enfin calme.

Je pense à toutes les fois où je l'ai forcé à manger par terre.

Je pense à son visage dans la bouffe.

Je pense à son regard de chien battu.

Et je me dis :

*J'ai aimé ce regard.*

Parce que quand il me regardait comme ça,

je n'avais plus à me regarder moi-même.

Je n'avais plus à voir le chien battu que je suis ici.

Chez moi.

Tous les soirs.

Je pense à toutes les vidéos.

Je pense à ses larmes en gros plan.

Je pense aux 400 vues.

Aux commentaires qui riaient.

Et je me dis :

*J'ai aimé ces vues.*

Parce que pendant que tout le monde regardait sa honte,

personne ne regardait la mienne.

Personne ne voyait que je pleurais sous la douche après.

Que je me cognais la tête contre le mur pour arrêter de penser.

Que je me mordais les bras jusqu'au sang pour ne pas me couper ailleurs.

Je pense à la brûlure sur son bras.

Je pense à la mienne, sur le dos, là où la ceinture a laissé des traces depuis que j'ai 7 ans.

Je pense à la boucle.

Je pense que je suis le fils de mon père.

Que je suis la copie parfaite.

Que je frappe dehors ce qu'on me frappe dedans.

Que je suis une machine à transmettre la douleur.

Que je suis une chaîne qui ne s'arrête jamais.

Je pense que si je n'avais pas eu Eliott,

j'aurais explosé depuis longtemps.

Que je serais déjà mort.

Que je serais déjà sous terre.

Et que ça aurait été mieux pour tout le monde.

Surtout pour lui.

Je pense que je suis un monstre.

Mais pas le genre cool.

Le genre pathétique.

Le genre qui a besoin de faire pleurer un gosse plus petit

pour ne pas se pendre dans sa chambre.

Je pense que je suis faible.

Plus faible que tous ceux que j'ai cassés.

Parce qu'eux, au moins, ils pleuraient.

Moi je n'osais même pas.

Je prends mon téléphone cassé.

Je tape quand même.

Les doigts glissent sur le sang et les larmes.

« Eliott.

Je t'ai brûlé pour ne pas me brûler moi.

Je t'ai fait pleurer pour ne pas pleurer moi.

Je t'ai détruit pour ne pas me détruire moi.

Et je me suis détruit quand même.

Je suis désolé.

Je suis tellement désolé que ça me tue.

Tu étais mon seul moyen de vivre.

Et je t'ai tué pour ça.

Pardon.

Pardon d'avoir été trop faible pour supporter ma propre douleur. »

J'envoie.

Je ne sais même pas si ça passe.

L'écran est mort.

Je reste par terre.

Je ne me relève pas.

Je ne me relèverai peut-être jamais.

Je suis Samuel.

15 ans.

Un gamin qui a fait du mal

parce que c'était le seul moyen

qu'il avait trouvé

pour ne pas mourir tout de suite.

Et maintenant je ne sais plus

comment vivre.

**FIN.**

Certains enfants ne deviennent pas méchants.

Ils deviennent des transmetteurs.

Ils prennent la douleur qu'on leur met dedans

et ils la ressortent sur le premier plus petit qu'ils trouvent.

Comme une maladie.

Comme une malédiction.

Comme le seul amour qu'ils aient jamais connu.

Je suis la preuve vivante

que la souffrance ne rend pas plus fort.

Elle rend juste contagieux.

🤍

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