**Les lucioles de grand-père**
Grand-père disait toujours que les lucioles étaient des bouts d'étoiles tombées sur terre pour consoler les enfants qui pleurent la nuit.
Il avait quatre-vingt-trois ans et un jardin qui sentait la menthe et la terre chaude.
Chaque été, quand j'avais dix ans, j'allais dormir chez lui.
On laissait la fenêtre ouverte.
On attendait que le ciel devienne tout noir.
Et puis elles arrivaient.
Petites lumières vertes qui dansaient comme des promesses.
« Regarde, petit. Elles n'ont pas peur du noir.
Elles l'emmènent avec elles.
Elles le transforment en lumière. »
Je courais pieds nus dans l'herbe.
Je tendais les mains.
Je n'en attrapais jamais.
Elles passaient entre mes doigts comme des souvenirs qu'on n'a pas encore vécus.
Un soir, grand-père n'a plus pu se lever du fauteuil.
Les jambes trop lourdes.
Le souffle trop court.
On a laissé la fenêtre ouverte quand même.
Les lucioles sont venues jusqu'à lui.
Elles se sont posées sur sa couverture.
Sur ses mains ridées.
Sur son front.
Il a souri.
Un sourire tout petit, tout doux.
« Tu vois… elles savent quand c'est l'heure.
Elles viennent chercher les vieux aussi. »
J'ai pleuré.
Silencieusement.
Il a pris ma main.
« Ne sois pas triste.
Quand je serai parti,
je deviendrai une luciole.
La plus lente.
Celle qui reste toujours un peu plus longtemps.
Tu la reconnaîtras.
Elle clignotera trois fois.
Comme ça. »
Il a clignoté trois fois des yeux.
Et il s'est endormi.
Il est mort trois jours plus tard.
Un matin de juillet.
Le jardin sentait encore la menthe.
Mais plus une seule luciole.
Les étés suivants, je suis revenu.
J'ai attendu.
Rien.
Juste le noir.
Juste le vide.
Et puis, l'été de mes vingt ans.
J'avais le cœur en morceaux.
Une fille qui était partie.
Un avenir qui faisait peur.
Je suis allé dans le jardin.
Il pleuvait doucement.
J'ai fermé les yeux.
Et elle est venue.
Une seule.
Toute petite.
Elle a dansé devant moi.
Elle s'est posée sur ma main.
Elle a clignoté trois fois.
Lentement.
Comme un battement de cœur.
J'ai souri.
J'ai pleuré.
J'ai ri en même temps.
Parce que c'était lui.
Je le savais.
Il était revenu.
Juste pour moi.
Juste pour me dire que même dans le noir le plus noir,
il y a toujours une petite lumière qui sait notre nom.
Elle est restée toute la nuit.
Et puis elle est partie.
Vers d'autres enfants tristes.
Vers d'autres vieux fatigués.
Mais chaque été, maintenant,
elle revient.
Une seule.
La plus lente.
Elle clignote trois fois.
Et moi,
je sais que quelque part,
grand-père danse encore
dans l'herbe chaude,
pieds nus,
le cœur léger.
**FIN.**
Il y a des absences qui pèsent.
Et puis il y a celles qui brillent.
Celle de grand-père est des deux.
Triste comme un jardin sans lui.
Joyeuse comme une luciole qui clignote trois fois.
Juste pour dire :
je suis toujours là.
🤍
