**Les fleurs de ma gorge**
J'avais neuf ans quand les fleurs ont commencé à pousser.
D'abord une seule.
Petite.
Blanche.
Au fond de la gorge, là où les mots se coincent quand on ment.
Je toussais.
Maman disait : « Bois de l'eau, mon ange. »
Je buvais.
La fleur restait.
Elle buvait aussi.
Elle grandissait.
À dix ans, elles étaient trois.
Elles grattaient quand je parlais.
Je parlais moins.
Je souriais plus.
Les sourires ne font pas de bruit.
À onze ans, le jardin était complet.
Des tiges fines, des pétales doux comme du sang séché.
Elles avaient des noms.
La première s'appelait « papa est parti pour le travail ».
La deuxième « il reviendra bientôt ».
La troisième « il n'a jamais existé ».
Je ne toussais plus.
Je crachais des pétales.
Dans le lavabo.
Dans mon oreiller.
Dans les mains de maman quand elle me bordait.
Elle les ramassait.
Elle les mettait dans un vase.
« C'est joli », disait-elle.
« Ça sent la lavande. »
À douze ans, les racines sont descendues.
Jusqu'aux poumons.
Jusqu'au cœur.
Je respirais des parfums de terre humide et de mensonges anciens.
Je dormais avec la bouche ouverte.
Les fleurs sortaient la nuit.
Elles faisaient des guirlandes autour de mon cou.
Je me réveillais étranglé de beauté.
À treize ans, j'ai essayé de les arracher.
Avec les doigts.
Avec des ciseaux.
Avec des mots vrais.
Elles saignaient.
Je saignais.
Les pétales étaient plus rouges après.
Plus doux.
Plus vivants.
À quatorze ans, le jardin a fleuri complètement.
Des roses noires.
Des lys morts.
Des marguerites aux yeux crevés.
Je ne parlais plus du tout.
Je respirais à peine.
Je souriais toujours.
C'était plus facile.
Les sourires ne font pas pousser de nouvelles fleurs.
À quinze ans, maman est entrée dans ma chambre.
Elle a vu le vase.
Plein.
Débordant.
Elle a compris.
Elle a pleuré.
Ses larmes sont tombées sur les pétales.
Ils ont bu.
Ils ont grandi encore.
Elle m'a pris dans ses bras.
Elle a murmuré :
« Je suis désolée, mon ange.
Je ne savais pas que les mensonges prenaient racine. »
Je voulais lui dire que ce n'était pas sa faute.
Que c'était moi qui avais arrosé.
Tous les jours.
Avec mon silence.
Mais les fleurs avaient déjà atteint ma bouche.
Elles sortaient en bouquet.
Elles m'étouffaient doucement.
Je suis mort un mardi de printemps.
Dans mon lit.
Entouré de pétales.
Maman a pleuré sur moi.
Ses larmes ont fait pousser la plus belle rose.
Noire.
Parfaite.
Elle l'a mise dans le vase.
Sur ma tombe, elle a écrit :
« Il n'a jamais dit un mot de trop. »
Elle a raison.
Je n'ai jamais dit la vérité non plus.
Les fleurs poussent encore.
Dans la terre.
Dans ma gorge.
Elles sont magnifiques.
Elles sentent la lavande.
Et le silence.
**FIN.**
Parfois les jardins les plus beaux
sont ceux qu'on cultive
à l'intérieur
là où personne ne regarde jamais.
Ils fleurissent.
Ils étouffent.
Ils restent.
Pour toujours.
🤍
