**La Veste**
Amine avait quinze ans et une veste trop grande pour lui.
Kaki délavé, coutures effilochées, odeur de lessive bon marché et de souvenirs qu'on ne lave jamais complètement.
Il la portait hiver comme été, fermée jusqu'au menton, même quand il faisait trente degrés.
Les autres riaient.
« T'as dormi dedans ou quoi ? »
« Elle vient de chez Emmaüs direct ? »
« Eh Amine, t'as peur qu'on te voie ou t'as juste honte d'être moche ? »
Il ne répondait jamais.
Il baissait juste les yeux, serrait les poings dans les poches trop longues, et continuait son chemin.
Chaque insulte était un caillou qu'il ramassait et gardait dans sa poche, à côté du briquet de son frère.
Parce que cette veste, c'était tout ce qu'il restait de Yanis.
Yanis, dix-neuf ans, qui l'avait élevé quand leur mère travaillait de nuit.
Yanis qui lui faisait des crêpes brûlées le dimanche.
Yanis qui lui disait « viens là, petit » et le prenait dans ses bras quand les profs le convoquaient.
Yanis qui, un soir de décembre, était sorti acheter du pain et n'était jamais revenu.
Accident.
Trois lettres sur un papier administratif.
Un cercueil trop petit.
Et cette veste kaki, posée sur la chaise de la cuisine comme si Yanis allait rentrer d'une minute à l'autre.
Amine ne voulait pas de pitié.
Il refusait qu'on dise « pauvre gamin ».
Alors il portait la veste comme une armure trop lourde pour ses épaules d'ado.
Il la portait pour sentir encore les bras de son frère autour de lui.
Il la portait pour ne pas oublier que quelqu'un, quelque part, l'avait aimé plus que tout.
Un mardi de novembre, il pleuvait des cordes.
Amine n'est pas venu en cours.
Sa chaise est restée vide.
Sur le dossier, la veste kaki, soigneusement pliée.
Et dessus, une feuille arrachée d'un cahier, pliée en quatre.
La prof de français l'a trouvée en ramassant les copies.
Elle l'a ouverte.
Elle a lu à voix haute, sans réfléchir.
« Vous avez toujours rigolé de ma veste.
Vous avez raison, elle est moche.
Elle est grande.
Elle sent la vieille fumée et le désespoir.
Mais dedans, il y avait mon frère.
Il me l'avait donnée le jour où il m'a dit :
« Garde-la, petit. Tant que tu la portes, je suis là. »
Il est mort il y a un an et deux mois.
Je l'ai portée tous les jours depuis.
Pour qu'il reste un peu.
Pour ne pas avoir froid sans lui.
Je vous la laisse.
Vous l'avez assez regardée.
Maintenant, regardez-moi.
Je suis toujours là.
Et je n'ai plus peur que vous voyiez. »
La classe s'est tue.
Un silence si lourd qu'on entendait la pluie cogner contre les carreaux.
Une fille a éclaté en sanglots.
Un garçon a mis sa tête dans ses mains.
Un autre a serré les poings si fort que ses jointures sont devenues blanches.
La prof a pris la veste.
Elle l'a posée sur ses propres épaules.
Elle tremblait.
Elle a dit simplement :
« Aujourd'hui, on ne fait pas cours.
On lit ça.
Et on apprend. »
Le lendemain, Amine est revenu.
Sans la veste.
Il était plus petit, comme si le poids du monde l'avait rattrapé.
Mais il marchait droit.
Il a regardé la classe dans les yeux.
Un par un.
Personne n'a ri.
Personne n'a parlé.
Certains pleuraient encore.
Il s'est assis à sa place.
Il a sorti un nouveau cahier.
Il a écrit une ligne, lentement :
« Aujourd'hui, j'ai enlevé la veste.
Mais Yanis est toujours là.
Et moi aussi.
Et c'est assez. »
Il a relevé la tête.
Il a souri.
Un tout petit sourire.
Le premier depuis longtemps.
Et dans la salle, pour la première fois,
on a vu Amine.
Vraiment.
**FIN.**
Le courage, ce n'est pas de porter une armure toute sa vie.
C'est de l'enlever un jour
et de rester debout quand même.
🤍
