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Chapter 24 - Tic-Tac

**Chapitre 1 – Tic-Tac**

Dans le village de Valgris, accroché aux flancs des montagnes comme un vieux chat qui ne veut plus descendre,

Émile tenait boutique depuis soixante-trois ans.

La même porte grinçante, la même odeur d'huile et de cuivre chaud, le même fauteuil en cuir craquelé où il s'endormait parfois en attendant un client qui ne viendrait jamais.

Les murs étaient un cimetière de temps morts.

Des centaines de montres, pendules, réveils, coucous,

toutes arrêtées à des heures différentes.

Il n'en réparait presque plus.

Il les écoutait.

Il les écoutait respirer leur dernier souffle.

Chaque matin, il se levait à cinq heures trente,

heure à laquelle le clocher sonnait autrefois pour les ouvriers de la mine.

Il faisait bouillir son café dans la même cafetière cabossée.

Il mangeait sa tartine beurrée en regardant la place vide.

Il ouvrait la boutique.

Et il attendait.

Les gens disaient : « Émile est devenu bizarre. »

Il répondait : « Non. C'est le monde qui est devenu pressé. »

Il n'avait plus de famille.

Plus de femme.

Plus d'enfants.

Juste ces montres qui ne demandaient rien.

Il leur parlait, parfois.

À voix basse.

« Toi, tu t'es arrêtée le jour d'un mariage…

Toi, le jour d'un enterrement…

Toi, le jour où quelqu'un a dit oui au lieu de non. »

Il avait des gestes lents, précis, tendres.

Comme on caresse un animal blessé.

Il nettoyait les mécanismes avec un chiffon doux.

Il soufflait sur les rouages.

Il remettait une goutte d'huile là où le temps avait séché le cœur.

Le soir, il fermait la porte à double tour.

Il montait l'escalier qui craquait comme une vieille chanson.

Dans sa chambre, il y avait une seule photo.

Une femme en robe bleue, souriante, devant la gare.

Il ne la regardait presque plus.

Il la connaissait par cœur.

Il la touchait du bout des doigts, parfois,

comme on touche une cicatrice qui ne fait plus mal

mais qu'on n'oublie jamais.

Il se couchait tôt.

Il ne dormait pas vraiment.

Il écoutait.

Il écoutait le silence de la maison.

Le silence du village.

Le silence de sa vie qui s'était arrêté quelque part,

sans qu'il sache exactement à quelle heure.

Il se disait souvent :

« J'ai réparé des milliers de montres.

Mais personne n'a jamais réparé la mienne. »

Et il souriait, un peu triste,

comme on sourit à un enfant qui pose une question trop grande pour lui.

Un matin de décembre,

alors que la neige tombait en gros flocons lents,

il ouvrit le tiroir aux pièces perdues.

Au fond, sous des ressorts rouillés et des verres fêlés,

il trouva une montre à gousset qu'il n'avait jamais vue.

Or pur, lourde, chaude au toucher.

Au dos, gravé en lettres fines :

« Pour les regrets qu'on ne peut pas remonter. »

Il la prit dans sa paume.

Elle battait déjà.

Un tic-tac régulier, profond.

Comme un cœur qui n'avait jamais cessé d'attendre.

Il la remonta, par habitude.

Un tour.

Deux tours.

Et le monde s'arrêta.

**A suivre...**

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