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Chapter 24 - Invocation

Un bâtiment isolé, une ancienne remise en pierre partiellement effondrée, était plongé dans une obscurité que même les projecteurs automatisés n'osaient rompre. La structure portait les marques du temps : murs lézardés, poutres moisies, et un parfum d'abandon que la pluie n'avait jamais su laver. Une aura de silence pesait sur l'endroit — non pas celle du calme, mais celle de la retenue, d'un souffle contenu par l'attente.

Aurélien s'y rendit seul.

Il laissa derrière lui le ronronnement de la chaîne de montage, les jets d'étincelles, les cliquetis précis des automates. Derrière lui, les regards de ses compagnons – ceux qui osaient encore questionner ses intentions – se perdaient dans la pénombre.

Il ne voulait pas de témoins. Pas pour ça.

Dans sa main reposait la Carte d'invocation, lourde comme une condamnation, opaque comme l'obsidienne la plus pure. Ses veines violettes pulsaient lentement, comme un cœur en veille, attendant d'être réveillé.Un murmure digital s'éveilla dans son interface mentale :

[Objet utilisé : Carte d'invocation – Serviteur (Classe inconnue)][Système de liaison ésotérique activé… Alignement mana : stabilisé… Déverrouillage de la clef de l'Autre Monde…]

Le sol répondit.Un cercle d'invocation émergea, lentement, comme gravé dans la réalité elle-même. Ce n'était ni une rune classique, ni un pentacle mystique. C'était un schéma impossible. Une géométrie qui blessait le regard, une logique de l'ailleurs, vivante.Des glyphes anciens – Akkadiens ? Sumériens ? – flottaient dans l'air, spirales de malédictions oubliées. L'air se fit lourd, presque pâteux, et même la lumière sembla hésiter à se poser.

Aurélien déposa la carte au centre du cercle. ''Je ne t'appelle pas par foi. Je t'appelle par contrat. Par nécessité. Sers-moi, ou retourne au Néant.''

Le sol vibra d'un grondement sourd, presque géologique.

Un éclair de lumière pourpre jaillit, brutal, avalant l'espace, faisant vibrer les murs, puis le silence fut rompu par une voix -

Suave. Féminine. Ancienne.

'' Toi... tu ne cherche pas à jouer au héros, au contraire tu cherche à forcer ta vision sur ce monde. C'est... suffisant.''

La lumière s'évapora en volutes parfumées. Et elle apparut.

Émergeant d'un nuage de brume au parfum d'encens royal, Sémiramis s'avança.Grande, gracieuse, habillée d'un tissu noir aux reflets améthystes, la Reine d'Assyrie arborait un décolleté impudent, comme pour rappeler qu'elle n'obéissait pas aux règles des hommes. Ses bras étaient ornés de bracelets anciens, de chaînes alchimiques, et sa peau semblait couverte d'un voile de poison délicat, invisible mais présent.Ses yeux, couleur de vin trouble et sucré, brillaient d'une intelligence acérée et d'un amusement dangereux.

Elle l'examina longuement. Comme on jauge un futur pion… ou un futur roi.

''Quelle ironie… Moi, une Reine d'un empire et maitresse des poisons, appelée à servir un enfant de la machine.''

Elle s'inclina à peine. Juste assez pour prétendre à l'humilité sans la concéder. '' Classe : Assassin. Nom véritable : Sémiramis. Je suis tienne, Maître… tant que tes desseins m'amusent.''

Aurélien, imperturbable, la scanna en silence.Ses capteurs internes analysèrent sa signature magique : dense, ancienne, labyrinthique.Un poison incarné. Une manipulatrice hors pair. Une stratégiste raffinée.

''Tu ne m'amuseras pas. Tu travailleras.''

Elle rit. Un éclat cristallin, comme le tintement d'un verre d'arsenic. ''Alors sois certain que ton monde en vaut la peine. Sinon, je le réduirai en cendres parfumées.''

Un silence passa. Les deux esprits se jaugeaient. Deux ambitions, deux routes, un pacte.

Puis elle s'avança lentement, ses chaînes cliquetant comme une musique ancienne.

'' Tu m'as invoqué non par foi, mais parce que tu sais. Intuitivement ou inconsciemment tu comprends que la force brute ne suffit plus. Tu veux ériger un empire. Tu veux que ton œuvre survive aux flammes, aux peuples, aux dieux. Alors tu as convoquer la personne qui pouvais le mieux t'apprendre cela : moi. »

Elle le frôla du regard. ''Montre-moi ta forteresse, bâtisseur. Montre-moi ce que tu veux imposer à ce monde pourrissant. Et je t'aiderai… à le sublimer.''

Aurélien hocha la tête, lentement. ''Viens, je vais te montrer mes œuvres'' 

Elle le suivit, mais avant de sortir Aurélien se retourna remarquant la beauté de la femme. '' On devrait te trouver une cape avant qu'un idiot ne fasse une connerie.''

La femme sourit simplement, ne niant pas les effets qu'elle pouvait provoquer chez les hommes. 

Ils quittèrent ensemble la remise, la lumière artificielle de l'extérieur tranchant violemment avec l'obscurité ésotérique qu'ils laissaient derrière eux.

Aurélien appuya sur son communicateur. '' D2, envoie une cape noire au sas 3. Taille féminine, tissu renforcé. Pas de motifs.''

Quelques instants plus tard, un droïde-araignée s'approche, tenant une cape dans ses pinces. Il la déposa à leurs pieds puis recula sans un mot. Sémiramis haussa un sourcil amusé en la ramassant.

''Quelle délicate attention. Voilà qui changera des esclaves tremblants ou des prêtres enivrés de leur propre voix. Au moins tes serviteurs ne parlent pas trop. ''

Elle attacha la cape d'un geste élégant, recouvrant son corps, mais ne mettant pas la capuche, laissant ses longs cheveux noirs coulé dans son dos, les utilisant pour cacher ses oreilles pointus. 

''Mieux ainsi ?'' dit-elle d'une voix doucereuse.

Aurélien répondit, sans détourner le regard : ''Maintenant, tu peux marcher dans le camps sans provoquer d'émeutes. ''

Aurélien la guida jusqu'à l'entrepôt qui lui sert maintenant d'usine. 

Elle suivait Aurélien d'un pas lent, félin, ses yeux balayant chaque détail, chaque structure, chaque garde posté à l'entrée d'un couloir. Elle n'était pas une simple invocatrice, ni une sorcière… mais une reine. Une stratège. Une femme qui lisait les intentions à travers l'architecture.

Et ce qu'elle voyait… l'intriguait.

L'usine se dévoila dans son ensemble lorsqu'ils passèrent les portes coulissantes renforcées. L'intérieur n'avait rien de luxueux ni de sophistiqué : les murs étaient en béton brut, encore marqués par des travaux de consolidation ; des bâches industrielles pendaient ici ou là pour protéger les circuits apparents ou cacher les zones en maintenance.

Mais malgré cet aspect brut, la chaîne de production fonctionnait.

Des droïdes bipèdes — aux châssis standardisés, à l'allure strictement militaire — avançaient lentement sur des rails métalliques, leurs circuits internes testés automatiquement à chaque étape. Des bras robotisés les assemblaient avec précision, vissant, soudant, câblant sans relâche. Chaque poste avait sa fonction. Chaque mouvement, sa cadence.

Des ingénieurs en combinaison grise supervisaient les opérations depuis une plateforme surélevée, échangeant des instructions via oreillette. Certains affichaient des visages marqués par la fatigue, mais leur concentration était palpable. Il y avait dans leurs gestes une maîtrise que l'on ne voyait que chez ceux qui savaient que chaque erreur pouvait coûter une vie, dehors. 

Sémiramis s'immobilisa au centre de la passerelle, bras croisés.

Elle resta un long moment silencieuse, observant les lignes de production, les plans techniques projetés sur les écrans muraux, les tests de calibrage et les routines de démarrage des unités finies.

Puis, finalement, elle parla. Doucement. Mais chaque mot portait un certain poids. '' Tu construis une armée. Non pas dans l'ombre… mais dans la boue, le ciment et la discipline.''

Aurélien, toujours un peu devant elle, se retourna. Il ne répondit pas tout de suite.

Elle s'avança lentement jusqu'à un droïde en phase terminale d'assemblage. Il venait tout juste d'être activé. Ses capteurs visuels se mirent à clignoter, ses articulations testées une à une dans un bruit régulier de servo-moteurs.'' C'est brut, austère. Pas de style. Pas d'ornement. Seulement l'efficacité.'' Elle effleura l'une des plaques d'acier avec curiosité. ''Tu n'as pas convoqué cette reine pour gouverner un palais… mais pour comprendre un arsenal. ''

Aurélien hocha la tête. ''Je t'ai convoquée pour ce que tu sais faire : juger les hommes, manipuler les structures de pouvoir. Ces droïdes protègent, patrouillent, exécutent. Mais les humains, eux… hésitent, trahissent, doutent. J'ai besoin de quelqu'un pour les lire. Les guider. Ou les écarter.''

Un sourire discret se dessina sur les lèvres de Sémiramis. ''Tu veux que je sois ton œil parmi les esprits… ton poison pour juger le bon grain de l'Ivraie.''

Elle se détourna du droïde et rejoignit Aurélien, marchant à son rythme. '' Soit. Mais je veux tout voir. Pas seulement les machines. Je veux connaître ceux qui t'entourent. Ceux que tu as choisis. Ceux que tu tolères. Je veux les plans, les réserves, les projections. Si tu veux que je sois un rouage dans cette mécanique, alors je serai la pièce centrale. ''

Aurélien se contenta d'un regard franc.

''Tu auras accès à tout ce qui est pertinent. Mais tu obéiras à la chaîne de commandement.''

''Je respecte la structure… '' dit-elle avec un amusement glacé, ''tant que cette structure ne s'effondre pas sous sa propre prétention.''

Ils passèrent devant une baie vitrée donnant sur l'extérieur. Au loin, des escouades de droïdes patrouillaient le périmètre, silencieux, précis, implacables.

'' Combien as-tu déjà déployé ? '' demanda-t-elle.

'' 90 unités opérationnelles. Quarante en phase finale d'assemblage. Trois types de protocoles : surveillance, escorte, élimination. Chaque droïde reçoit des instructions précises selon la zone. Aucun ne prend d'initiative hors de sa fonction. ''

Sémiramis acquiesça. ''Un début. Mais il te faudra bientôt autre chose. Une couche au-dessus. Une conscience. Une volonté stratégique. Si tu veux régner sur les cendres, tu devras choisir où souffler, et où attendre que le feu s'éteigne. ''

Elle tourna la tête vers lui, sérieuse.

''Tu as levé un outil. Pas encore une autorité. ''

Aurélien l'accepta sans protester.

''Je n'ai pas fini de bâtir. Tu m'aideras à franchir l'étape suivante. ''

Sémiramis jeta un dernier regard vers les ingénieurs qui, sans le savoir, avaient été placés sous son observation.

'' Alors je commence demain. Donne-moi la liste de tes officiers techniques. Je veux connaître leur vision. S'ils n'en ont pas… je la leur offrirai. ''

Puis elle conclut, plus doucement :

''Tu veux survivre, Aurélien ? Très bien. Mais moi, je veux que tu gouvernes. ''

L'homme répondit ''Bien, je sais exactement dans quel direction guider mes ingénieurs'' Il lui remit un livre caché sous son manteau. Sur la couverture était écrit un seul mot: Omnissiah

Dans la soirée, la zone du manoir Takagi assigner à Aurélien, Saeko et Koharu

La pièce baignait dans une pénombre apaisante. Loin du tumulte des autres survivants, l'aile nord-est du domaine avait été réaménagée avec rigueur : quelques meubles essentiels, des lampes à LED alimentées par les batteries solaires d'Aurélien, une atmosphère presque monastique.

Un air de thé noir flottait dans la pièce, adouci par les gestes précis de Koharu, qui surveillait une petite théière sifflante. Non loin d'elle, Saeko s'occupait de l'entretien de son sabre, assise sur un coussin. Elle le faisait souvent le soir, plus par habitude que nécessité. L'arme était en parfait état, mais elle lui permettait de rester calme, ancrée. Vêtue d'un kimono sombre, elle observait silencieusement les mouvements de son compagnon, adossée contre le chambranle de la porte, le regard légèrement adouci.

Aurélien entra, les bottes couvertes d'un peu de poussière, suivi de près par une silhouette nouvelle.

Grande. Élégante. Drapée dans une cape noire qui glissait doucement sur le sol. Sémiramis.

Ses yeux sombres examinèrent l'espace d'un seul balayage, s'arrêtant à peine sur Koharu, un peu plus longuement sur Saeko.

Aurélien, lui, posa calmement un genou au sol pour ôter ses chaussures, puis déclara sans détour :

''Je vous la présente. Sémiramis. ''

Il tourna la tête vers la Reine sans cérémonie. '' Je l'ai recruté aujourd'hui, elle m'aidera à gérer mon personnel.'' Il jette un regard vers Saeko. '' Tu comprendras vite pourquoi je l'ai choisie. ''

Koharu haussa un sourcil, mais resta muette.

Saeko, elle, ne fit pas de commentaire. Elle se redressa lentement, puis inclina poliment la tête.

''Saeko Busujima. ''

'' Oh, je sais. '' répondit Sémiramis avec un sourire fin, presque carnassier. '' Celle qui dort à ses côtés. Celle qui veille à sa quiétude. Une femme rare. ''

Saeko ne réagit pas. Son regard demeura neutre, mais son port se raffermit, droite comme un sabre tiré.

Aurélien, lui, s'étira un peu, fatigué.

'' Je vais dormir un moment. Sémiramis, reste ici. Apprends ce que tu peux. Elles te diront ce que tu as besoin de savoir. ''

Sans un mot de plus, il donna un bref baisée à Saeko, puis il disparut dans la pièce attenante, laissant derrière lui la tension délicate de trois femmes se jaugeant pour la première fois.

Un silence pesant envahi la pièce. Puis Koharu servit une tasse de thé. ''Vous pouvez vous asseoir.''

Sémiramis ne se fit pas prier. Elle se posa avec une grâce étudiée, comme si chaque geste était pensé pour charmer ou défier. Ses mains glissèrent sous sa cape pour ajuster la robe sombre qu'elle portait dessous — subtile, soyeuse, mais sans provocation vulgaire.

Elle huma la vapeur du thé. Ferma les yeux un instant. ''Il y a du gingembre. Et une touche de citronnelle. Vous veillez sur lui de bien des manières.''

Koharu hocha la tête, simplement. ''Il est mon fils.''

Sémiramis tourna alors lentement la tête vers Saeko, son sourire s'amincissant à peine.''' Et toi, tu es c'elle qu'il choisi. Tu sais, je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un à ses côtés. Ce genre d'homme... reste rarement compréhensible pour les autres. Trop distant. Trop... vertical.''

Saeko pencha légèrement la tête, posant ses mains sur ses cuisses. ''Je l'accepte comme il est. Il n'a jamais promis la chaleur. Mais il protège. Il est fiable. Surtout il m'accepte. C'est suffisant. »

Sémiramis hocha la tête. Une pointe d'admiration sincère passa dans son regard.

'' Une femme qui comprend son homme comme un seigneur. C'est plus que rare. Tu es née à la mauvaise époque. ''

Elle but une gorgée, puis, d'un ton feutré, laissa échapper :

''Je ne suis pas ici pour le séduire. Mais... il a cette aura. Ce feu froid. Ce genre de chose attire. Et s'il me regarde un jour autrement que comme un outil... je ne détournerai probablement pas les yeux. ''

Le silence s'installa un instant.

Saeko ne broncha pas.

Puis elle répondit simplement, d'un ton neutre, presque détaché :

'' Je suis sa compagne. Pas sa geôlière. Dans d'autres temps, d'autres mondes, un homme fort était attendu à avoir plusieurs liens. Ce n'est pas à moi de définir ses besoins. ''

Sémiramis cligna lentement des yeux, puis inclina doucement la tête, comme une reconnaissance implicite.

' Tu es plus reine que tu ne le crois. ''

Koharu se leva pour débarrasser la théière. Choisissant d'ignorer la vie amoureuse de son fils. Elle murmura, sans lever les yeux :

'' Ce qu'il bâtit aura besoin de toutes l'aide possibles. Mais, veillez à ne pas oublier à ce qu'il reste humain, en lui. ''

Sémiramis laissa un sourire danser au coin de ses lèvres.

'' Ce sera peut-être toi qui me rappelleras cela, mère d'ingénieur. ''

Une heure plus tard, la lumière dans la pièce où dormait Aurélien avait été réduite à une simple lueur bleue, émise par un écran en veille sur le bureau. L'odeur de fer légèrement mêlée à celle de l'huile technique flottait encore dans l'air, résidu des longues heures passées à assembler, coder, organiser.

Saeko entra sans bruit.

Elle avait déposé son épée dans le coin du couloir, retiré son kimono de pratique pour enfiler une tenue plus souple, plus sobre. Elle referma lentement la porte derrière elle, et s'attarda un instant à observer Aurélien.

Il dormait. Ou plutôt, il reposait dans cet état étrange qu'elle commençait à reconnaître : demi-conscience, toujours prêt à bondir si nécessaire. Son torse se soulevait lentement sous un tissu noir, ses cheveux en désordre retombaient sur son front. Il semblait plus jeune ainsi. Presque vulnérable.

Elle s'approcha. S'agenouilla près de lui.

Puis, d'un geste fluide, elle écarta la couverture et s'installa contre lui, une main glissant sous la sienne, ses jambes venant naturellement se caler contre les siennes. Le contact le tira de sa torpeur, et ses yeux s'ouvrirent à moitié. '' Tu ne dors pas encore ?'' murmura-t-il, la voix râpeuse.

'' Maintenant si.'' Elle cala son visage dans le creux de son épaule, respirant son odeur. Silence. Un battement. Puis deux.

'' Elle est belle.'' ajouta-t-elle sans vraiment poser de question.

Aurélien resta silencieux.

'' Et dangereuse. Elle ne cache ni l'un ni l'autre. ''

'' C'est pour ça qu'elle est utile.''

''Hm.'' répondit-elle

Elle passa un doigt sur son bras prothétique, doucement. Mais ses gestes, loin d'être amoureux ou purement tendres, avaient quelque chose de possessif. Mesuré, mais présent.

''Je n'ai rien dit de mal envers elle Je crois même ce que j'ai dit.''

Elle leva les yeux vers lui, ses prunelles sombres brillant à la lumière de l'écran.

''Mais si un jour elle pose ses mains sur toi, ce sera différent. Ce ne sera plus de la stratégie.''

Aurélien haussa légèrement un sourcil. Il n'était pas surpris. Simplement attentif.

'' Tu réagirais comment ?''

''Je la préviendrai une seule fois.'' répondit-elle, la voix aussi calme qu'un lac de montagne. ''Je ne suis pas jalouse, Aurélien. Mais je suis une femme d'honneur. Et une compagne n'est pas une silhouette dans le décor. ''

Il ne répondit pas tout de suite. Il connaissait cette Saeko-là. Fidèle. Discrète. Mais farouche. Ce n'était pas de la violence — c'était un engagement total. Et il comprenait mieux chaque jour pourquoi elle l'avait choisi, et pourquoi il l'avait laissée entrer dans sa vie malgré ses propres murailles.

'' Tu veux que je la renvoie ?''

Elle secoua doucement la tête contre son torse. ''Non. Elle est utile. Elle sera précieuse. Elle est même intrigante.''

Un battement de pause. Puis, tout bas : ''Mais je veux qu'elle sache que je suis là. Et que malgré les silences, malgré ta logique, tu ne m'as pas choisie par défaut.''

Aurélien passa une main dans ses cheveux, les ramenant lentement sur sa nuque. Il ne disait pas souvent les choses. Mais ses gestes, eux, étaient rarement équivoques.

''Tu es la première que j'ai laissée entrer. La seule qui peut m'arrêter dans un couloir sans que je m'agace. Tu sais déjà.''

Elle ferma les yeux. '' Dis-le devant elle, un jour. Pas pour moi. Pour elle.''

Aurélien hocha lentement la tête. ''Si nécessaire.''

Un silence les enveloppa à nouveau. Cette fois plus calme. Moins tendu.

Saeko s'endormit contre lui, la main toujours posée sur sa poitrine, comme un sceau vivant, discret mais indélébile.

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