Le soleil se levait à peine sur le domaine Takagi, projetant une lumière blafarde sur les ruines fumantes de la ville. Les rues étaient calmes, à peine troublées par le pas métallique des patrouilles droïdes. Les droïdes araignées et les servo-crânes continuaient de récolter les pièces détachés des droïdes détruits.
Aux abord du manoir, le silence était pesant, seulement troublé par les chants mécaniques des droïdes qui patrouillaient à intervalles réguliers dans les jardins, surveillant le domaine avec une vigilance froide. Les cadavres avaient été brûlés, les murs consolidés, les stocks revérifiés. L'aube ne portait pas la paix : elle portait les suites du carnage.
Assis à l'extrémité de la longue table du salon d'honneur, Aurélien observait les figures figées de Soichiro et Yuriko Takagi. Le patriarche, toujours droit malgré la fatigue visible sur ses traits, il portait encore son sabre à la ceinture, comme pour conserver un symbole d'autorité. Yuriko, elle, conservait ce calme mordant, cette noblesse qui aurait pu convenir à une impératrice dans un autre monde. Ils n'étaient pas simplement des survivants. Ils étaient les vestiges d'un ordre déchu.
Aurélien brisa le silence le premier, sa voix posée, nette. '' Vos troupes ont bien combattu. Leur discipline a ralenti l'effondrement de notre flanc gauche. Ils méritent d'être salués.''
Soichiro acquiesça sans détourner le regard. ''Et vos droïdes ont tenu la ligne malgré les pertes. Sans eux, la horde aurait dévasté notre maison. Vous êtes jeune, Aurélien. Et pourtant… ce que vous construisez, ce que vous commandez... dépasse l'entendement,'' dit lentement Soichiro.
Aurélien hocha simplement la tête, puis posa son regard sur le vieux chef de clan. Il l'étudia longuement. Pas comme un rival. Plutôt comme un tacticien qui scrute les fondations d'un château pour en évaluer la solidité.
''Nous avons survécu,'' dit-il finalement. ''Mais la survie n'est pas la victoire. Ce monde ne reviendra pas à ce qu'il était. Il faut reconstruire. Différemment. Et pour cela, une autorité claire est nécessaire. Une hiérarchie stable, centralisée. Et capable de déployer ses forces sans lenteur administrative.''
Yuriko pencha la tête, lissant d'un doigt ses cheveux. '' Tu veux prendre le commandement total des forces militaires de ce territoire!''
''Pas "je veux", madame Takagi. Il le faut. Vos troupes sont vaillantes, mais vos communications sont lentes, vos chaînes de commandement encore divisées entre loyauté familiale, intérêts personnels et traditions. Ce modèle est obsolète.'' répondit le jeune homme.
Soichiro ne répondit pas tout de suite. Il ferma les yeux un instant, respirant profondément. Lorsqu'il les rouvrit, ce n'était pas un politicien qui parlait, simplement un homme qui voulait un avenir pour sa famille. '' Votre armée est le cœur battant de notre sécurité. Il est donc temps de clarifier les termes de notre avenir, mais tu demandes une confiance totale. Pourtant si je te la donne… que reste-t-il de notre autorité à Yuriko et moi ?''
Soichiro ne voulait pas perdre son pouvoir, mais il avait vu la force personnel du jeune homme devant lui. En à peine une semaine, il avait construit une force pouvant repoussant plus d'un millier de mort-vivants. Qu'est-ce qu'il en sera dans un mois? Ou dans un an?
Le chef Takagi avait vécu de nombreuses années dans le monde politique. Il savait quand le vent tournai, et l'acceptait. Tout ce qu'il voulait c'était des garanties.
'' Vous aurez une place dans le futur, répondit Aurélien sans détour. Je ne cherche pas à vous effacer. Vous représentez l'ancien Japon, oui, mais aussi sa stabilité, son enracinement. Le peuple a besoin de figures capables d'incarner l'ordre. Mon autorité sera principalement militaire et judiciaire. Vous resterez les gouverneurs de ce territoire et même plus. Avec un titre. Une dignité. Et surtout un devoir.''
Il sortit de son manteau un petit carnet noir, aux coins renforcés de métal. Il l'ouvrit sur la table, révélant des pages rédigées d'une écriture dense, méthodique.
''Je propose la fondation d'un pacte. Une aristocratie renouvelée. Non pas de sang, mais de mérite. Chaque lignée gouvernante sera soumise à une évaluation de performance tous les dix ans. Si elle échoue, elle sera déposée. Sinon, elle conserve ses prérogatives. La loyauté, l'efficacité et la protection du peuple seront les trois critères. Ceux ayant accomplit des actes méritoire seront éligible à obtenir un titre aristocratique. J'accepterai également les nobles dans l'armée, mais les héritier doivent renoncer à leur noms familiaux, ils pourront fonder leur propre famille au moment de la retraite.
''Une aristocratie ?'' demanda Soichiro, les sourcils froncés.
Aurélien acquiesça. ''Une néo-aristocratie, oui. Pas fondée sur le sang, mais sur le service. Sur la capacité à protéger, à diriger, à transmettre. Le peuple a besoin de figures pérennes, de symboles de stabilité. De hiérarchie. Le monde s'est détérioré non parce que ses lois étaient mauvaises, mais parce qu'elles n'étaient pas défendues. Sans cadre, même la démocratie se pourrit. Je suis prêt à reconnaître des lignées. Mais uniquement si elles servent l'avenir, pas le passé.''
Yuriko haussa un sourcil, intéressée. ''Une méritocratie… avec un vernis de noblesse.''
Aurélien sourit. ''Exactement.''
Yuriko croisa les bras, son regard se durcissant.'' Une aristocratie surveillée par qui ? Un empereur? Te considères-tu comme tel ?''
Un léger sourire flotta sur les lèvres du jeune homme. ''Le titre importe peu. Ce n'est pas les titres qui gouverne. C'est la puissance et la vision. Je suis l'homme avec l'armée. Celui qui bâtira les lignes de production. Celui qui répond à la catastrophe et qui propose une solution stable. Si ce rôle vous pousse à m'appeler "Empereur", je ne m'y opposerai pas. Mais ce n'est pas ce qui m'importe. Ce qui m'importe, c'est que vous acceptiez.''
Il ferma le carnet et le fit glisser devant Soichiro. Le silence s'épaissit.
Puis, Aurélien planta son regard dans celui de l'ancien homme politique. ''Une question, Soichiro. Et je veux une réponse claire.''
L'ancien chef du parti d'extrême-droite japonais acquiesça lentement, devinant que l'instant allait sceller leur partenariat ou y mettre fin.
''Si tu apprenais demain que le gouvernement japonais avait survécu, même réduit, même affaibli… me resterait-tu loyal ? Sachant que tu entretenais des liens avec le Parti national de restauration impériale ?'' demanda Aurélien
Soichiro ne répondit pas immédiatement. Il se redressa lentement, comme pour rappeler qui il avait été. Ses traits se tendirent, sa main droite posé sur son épée. Puis il répondit, d'une voix grave et calme. '' Ce gouvernement, s'il existe, a échoué. Il n'a pas empêché l'effondrement. Il n'a pas protégé ses citoyens, ni ma famille. Si je le soutenais autrefois, c'est parce que je croyais à la restauration d'un Japon fort, enraciné, ordonné. Ce que tu proposes… c'est une version différente, mais fonctionnelle, de cette vision. Alors oui, Aurélien Yamamoto. Ma loyauté ira à celui qui construit, pas à ceux qui ont fui.''
Yuriko ajouta : ''Tant que tu protèges notre peuple, notre terre, et notre nom, nous te soutiendrons. Mais sache que si nous voyons que tu ne remplis pas tes promesses… nous serons les premiers à te défier.''
Aurélien se leva, tendant la main vers Soichiro. '' C'est tout ce que je demande.''
L'homme d'honneur se leva à son tour, saisissant la main du jeune stratège. Ce n'était pas une poignée de main entre amis. C'était le sceau d'un pacte, une alliance entre l'Ordre et le Progrès. L'Ancien Monde et le Nouveau.
Alors que le soleil se hissait lentement au-dessus de l'horizon, un nouvel ordre venait de naître. Dans un monde ravagé, où les lois anciennes n'avaient plus de sens, l'Empereur des Machines et les Aristocrates scellaient leur alliance.
Bien des années plus tard, ce jour serait remémorer comme celui du Pacte Dominium. Un évènement fondamental qui garantie la bonne coexistence entre le pouvoir impérial et les familles aristocratique.
Soirée.
Le soleil était encore bas, teintant de cuivre les grilles renforcées du domaine Takagi, lorsque Takashi Komuro poussa la porte de la salle commune, le pas décidé, mais le regard lourd.À ses côtés, Rei Miyamoto, droite et silencieuse, jetait des regards prudents vers les gardes droïdes B1 postés à intervalles réguliers dans les couloirs. Leur simple présence, anodine pour certains, provoquait en elle une tension sourde.
Kohta Hirano les rejoignit, son sac en bandoulière plein à craquer. Il ne portait plus ses anciennes lunettes : il avait récupéré une paire tactique, offerte par Aurélien, mais qu'il arborait avec gêne.
''Tu es sûr de ça ?'' demanda Saya, les bras croisés, adossée contre un pilier.
Takashi se figea. Le ton n'était pas accusateur, mais il y décelait un mélange de tristesse et de frustration.
''Oui. Je dois retrouver ma mère. Elle est peut-être toujours en vie. Et je ne peux pas rester ici, Saya. Pas comme ça.''
Elle le fixa, puis soupira. Rei prit la parole. ''Nous n'abandonnons personne. Mais… il faut qu'on sache ce qui se passe dehors. Nous avons vu la ville changer, mais nous ne voulons pas rester passifs, confinés ici. Pas quand nos parents sont encore là-dedans''
''Vous n'êtes pas confinés'', rétorqua Saya.'' Vous êtes en sécurité. Et il y a tant à faire ici. Ce n'est pas fini, Rei, ce n'est même que le début.''
''C'est justement ce qui m'inquiète, répondit Takashi, son regard dérivant vers un groupe cinq droides b1, suivant un droide tactique. Les choses changent trop vite. Trop bien organisées. Trop silencieuses. Trop rigides. Ce n'est pas normal.
Saya tressaillit légèrement, et détourna les yeux. ''Tu parles d'Aurélien ?''
Takashi acquiesça.
''Je n'ai rien contre lui. Il nous a sauvés, plusieurs fois. Mais maintenant… il est partout. Il dirige les droïdes, il parle aux ingénieurs comme un prêtre, il a des plans pour une nouvelle aristocratie ? Sérieusement ? Et tu ne trouves pas ça bizarre que ton père lui ait cédé le commandement militaire ? Juste comme ça ?''
Saya pinça les lèvres. '' Mon père l'a fait pour protéger notre territoire. Pour assurer l'avenir. Pas par faiblesse. Et puis, Aurélien nous a prouvé que…''
''Oui, il est brillant. Oui, il est fort. Mais depuis quand c'est une bonne idée de laisser toute la force militaire à un seul homme ? Tu sais ce que je pense ? Je crois que ton père a toujours rêvé de ce genre de chose! Il a toujours été attiré par le pouvoir. Lui et ses idéaux sur le Japon d'avant-guerre…''
''Takashi !'' coupa Rei. ''Ce n'est pas le moment pour ce genre d'accusation.''
Saya recula d'un pas, blessée. '' Si tu veux partir, alors pars. Mais ne viens pas salir ce qu'on essaie de construire ici.
Kohta, qui était resté silencieux jusqu'à présent, intervint : Je comprends ce que Takashi veut dire. Moi aussi, je suis impressionné par Aurélien et je le considère comme un ami… mais parfois, ça fait peur. Il pense trop loin. Et je suis un tireur, pas un technocrate. Moi aussi, je veux voir si ma famille est en vie. Et peut-être aider ceux qu'on a laissés derrière.
Un silence gêné s'installa. Puis Saya s'approcha doucement de Takashi. ''Alors… au revoir.''
''Saya… viens avec nous. Tu n'as rien à prouver ici.'' dit son ami d'enfance
Mais avant qu'elle ne puisse répondre, Yuriko Takagi entra, suivie de deux gardes. Elle avait entendu les derniers mots. Son regard était calme, mais ferme.
'' Ma fille ne partira pas, dit-elle simplement. Nous avons besoin d'elle ici.''
'' Ce n'est pas à vous de décider,'' répliqua Takashi.
''Si, pour l'instant. Elle est encore mineure. Et surtout, elle est une Takagi. Ce monde change, et nous avons besoin de ceux qui savent penser, organiser, diriger. Saya sera formée à gouverner, dans le cadre du nouvel ordre qu'Aurélien et nous mettons en place.''
Saya baissa les yeux, partagée entre révolte et responsabilité.
''Bonne chance,'' murmura-t-elle finalement.
Takashi serra les dents, mais n'insista pas. Il jeta un dernier regard à Saya, puis à l'horizon.
''Si je découvre que ce monde tourne à la tyrannie sous les bottes d'un empire, je reviendrai. Et je l'empêcherai.''
Il partit sans attendre de réponse. Rei le suivit, Kohta derrière, bien qu'il est saluer amicalement avant de partir.
Plus tard, la nuit tombée,
Dans la terrasse silencieuse dominant la cour intérieure, Saeko Busujima s'était glissée derrière Aurélien.
Il se tenait seul, les mains croisées dans le dos, observant la lumière des projecteurs caresser les murs du bastion, les silhouettes des droïdes patrouillant méthodiquement. Certains drone commençait le travail de fortification du territoire.
'' Ils sont partis,'' dit-elle doucement.
Il hocha la tête. ''C'était inévitable. Takashi ne se sent pas à sa place dans une structure ordonnée. Il se méfie du pouvoir qu'il ne contrôle pas.''
'' Tu l'as laissé partir sans rien dire?'' demanda-t-elle.
'' Il n'était pas prêt à entendre ce que j'ai à offrir. Il préfère encore croire au monde d'avant. À la vieille illusion d'un retour à la normalité.''
Elle s'approcha lentement, posant sa main sur son bras.'' Et s'il revenait… avec des intentions hostiles ?''
Aurélien tourna légèrement la tête, ses yeux dans les siens. ''Alors il apprendra ce qu'il en coûte de me défier. Mais je ne le souhaite pas. Je préférerais qu'il trouve une autre voie. Il a du courage, mais il refuse encore d'accepter que ce monde a changé de nature.''
''Et toi, tu t'élèves au-dessus du monde. Non pas par cruauté, mais par nécessité,'' murmura Saeko.
Il sourit faiblement. '' Ce n'est pas la machine qui est divine, Saeko. C'est l'intelligence qui la conçoit. Et ce n'est pas le pouvoir ancien qu'il faut idolâtrer, mais la quête constante de compréhension. Voilà le cœur de mon rêve.''
Elle se blottit contre lui, l'embrassant lentement sur la joue. ''Je t'aiderai à le bâtir. Même si cela fait de moi une ennemie aux yeux de nos anciens amis.''
Il passa un bras autour de ses épaules.'' Le monde ancien est mort. Ceux qui ne le voient pas sont déjà des fantômes. Nous sommes vivants, Saeko. Et nous forgerons ce qui viendra.''
Au loin, l'usine d'Aurélien continuait de s'étendre, forgeant de plus en plus d'outil pour les futurs guerres de son créateur. Une ère prenait fin. Une autre commençait, dans l'acier, le sang et l'idéal.
Notes de l'auteurs: Pourquoi diviser le pouvoir?
L'émergence des factions est inévitable, même dans un régime ultra-centralisé. La clé de la stabilité réside non dans leur suppression totale, mais dans leur encadrement, leur surveillance et leur intégration dans un système régulé.