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Chapter 3 - L’Enfance du Monstre

Il fut un temps où Min Yoongi n'avait ni nom de scène, ni couronne de l'ombre.

Juste la faim.

Le froid.

Et le bruit permanent des sirènes.

Il était né dans une ruelle où même le soleil hésitait à entrer. Les murs y transpiraient l'humidité, les déchets s'empilaient dans les coins, et les cris faisaient partie du décor, au même titre que les chiens errants et les ivrognes couchés sur les trottoirs.

Il ne se souvenait pas clairement du visage de sa mère. Seulement de ses mains.

Des mains fatiguées. Tremblantes.

Des mains qui sentaient parfois l'alcool, parfois la lessive.

Des mains qui avaient essayé de le protéger… jusqu'au jour où elles l'avaient lâché.

Cette nuit-là, il avait couru derrière elle.

— « Maman ! »

Sa voix s'était perdue dans la rue.

Elle ne s'était pas retournée.

Il avait attendu jusqu'au matin, roulé contre un mur, le ventre vide, les joues trempées de larmes invisibles. Puis l'attente était devenue habitude. Et l'habitude, une arme.

Les rues l'avaient élevé à leur manière.

On lui apprit vite à reconnaître les hommes dangereux à leur démarche, les policiers à leur silence, les voleurs à leurs regards pressés. Il devint un gamin qui observait beaucoup et parlait peu. Un gamin qu'on remarquait.

Les gangs le remarquèrent aussi.

Au début, ils l'utilisaient pour courir. Livrer. Espionner. Rester des heures immobile à un coin de rue pour signaler l'arrivée d'un flic par un simple geste de la main. Il recevait un repas s'il avait bien travaillé. Rien s'il échouait.

À dix ans, il savait déjà ce que valait une vie dans ce quartier : moins qu'un billet mal plié.

À douze ans, il vit son premier mort.

Un homme poignardé pour une dette ridicule. Le sang avait coulé jusque dans le caniveau. Personne n'avait appelé les secours. Le quartier avait simplement continué à respirer.

Cette nuit-là, Yoongi avait vomi derrière une benne.

À quatorze ans, on plaça une arme dans sa main.

— « Si tu veux manger, tu tires. »

La première fois, ses doigts tremblaient tellement qu'il avait failli lâcher le pistolet. Il avait tiré sans regarder. L'homme s'était effondré, plus rapide que sa peur.

Il n'avait pas dormi pendant trois jours.

La deuxième fois, il avait tremblé un peu moins.

La troisième, il n'avait plus tremblé du tout.

C'est là que l'enfant avait commencé à mourir.

La nuit de la cicatrice, il avait seize ans.

Une transaction devait se faire dans un entrepôt abandonné. Lui devait seulement surveiller l'arrière. Une mission simple. Trop simple.

Les coups de feu avaient éclaté sans prévenir.

Trahison.

Les balles traçaient des éclairs de mort dans l'obscurité. Il avait couru. Une douleur brûlante avait traversé son visage. Il s'était écroulé contre un mur, le monde tournant autour de lui.

Au-dessus de lui, une silhouette s'était approchée.

Son mentor.

Celui qui l'avait formé.

Celui qu'il appelait chef.

Celui qui disait qu'il était "comme son fils".

— « Tu es devenu inutile, Yoongi. »

La lame avait frôlé son visage une seconde fois.

Puis l'homme était reparti.

On l'avait laissé là, parmi les corps, comme un déchet de plus.

Il n'avait pas compris tout de suite qu'il vivait encore. La douleur était si forte qu'elle prenait toute la place. Quand il avait osé toucher sa joue, ses doigts s'étaient couverts de sang chaud.

Il avait crié.

Mais personne n'était venu.

Il s'était traîné pendant des heures, jusqu'à s'effondrer dans une bouche d'égout à moitié ouverte. Et là, dans la crasse et la fièvre, il avait attendu la mort.

Elle n'était pas venue.

Quand il s'était réveillé à l'aube, le monde lui paraissait étrangement trop calme. Le sang avait séché sur son visage. La cicatrice était désormais là, définitive.

Ce jour-là, quelque chose s'était brisé pour de bon.

Plus jamais il ne serait un outil.

Plus jamais il ne serait abandonné.

Il disparut pendant des mois.

Certains dirent qu'il était mort.

D'autres qu'il avait fui la ville.

En réalité, il s'était caché.

Il avait appris.

Il s'était reconstruit dans la douleur et l'obstination.

Il s'entraîna. Il observa. Il écouta. Il mémorisa les routes, les visages, les hiérarchies. Il transforma sa rage en méthode. Sa peur en stratégie.

Quand il revenait parfois hanter les rues de son enfance, personne ne le reconnaissait.

Il parlait peu.

Il frappait vite.

Il ne demandait jamais l'autorisation.

Les anciens chefs tombèrent un à un. Certains assassinés. D'autres retournés contre leurs propres hommes. Les territoires changèrent de mains dans un désordre sanglant.

Un nom commença à circuler.

D'abord à voix basse.

Puis dans tous les quartiers.

Mulshigan.

Un chef sans visage.

Un roi sans couronne.

Un fantôme qu'on ne voyait jamais mais qu'on sentait partout.

Des années plus tard, au matin qui suivait le concert, Yoongi se réveilla en sursaut sur le canapé du dortoir.

Son cœur battait trop vite.

Il avait encore rêvé de la ruelle.

De la cicatrice.

De l'arme.

Le soleil entrait doucement par la fenêtre.

Dans la cuisine, il entendit des voix.

— « Hyung dort encore ? » demanda Jungkook.

— « Chut, » murmura V. « Laisse-le. »

Il ferma les yeux quelques secondes.

Ici, personne ne criait.

Personne ne mourait.

Personne ne le trahissait.

Et pourtant… son autre royaume respirait toujours en lui.

Quand il se leva enfin et entra dans la pièce, tous se retournèrent.

— « Oh, le voilà ! » s'écria J-Hope.

— « Tu nous as fait une nuit d'hibernation complète, » plaisanta Jin.

— RM le regarda plus sérieusement : « Tu vas bien ? »

Il hocha la tête.

— « Oui. »

Et comme toujours, ce n'était qu'une moitié de vérité.

V le fixa un instant de plus que les autres.

Comme s'il voulait lui demander quelque chose.

Comme s'il n'osait pas.

Dans l'ombre de son passé, le Mulshigan était né d'un enfant abandonné.

Et aujourd'hui, cet enfant partageait une table, un canapé et des rires avec six garçons qui ignoraient totalement ce qu'il était devenu pour survivre.

La guerre qui s'annonçait n'allait pas seulement opposer des gangs.

Elle allait mettre face à face…

L'enfant qu'il avait été.

Le monstre qu'il était devenu.

Et l'homme qu'il tentait, malgré tout, d'être encore.

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