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Chapter 2 - L’Ombre et le Salon

La voiture roulait sans un bruit de trop.

La ville défilait derrière la vitre teintée comme un film que quelqu'un avait mis en mute. Feux rouges, néons, silhouettes pressées, rien ne semblait l'atteindre. Lui restait immobile, la tête légèrement appuyée contre le dossier, les paupières mi-closes.

Dans le reflet de la vitre, ce n'était plus Suga.

Le maquillage avait disparu. La cicatrice, fine mais nette, tranchait son visage d'un trait oblique. Elle remontait de la joue vers la tempe, comme une marque que même le temps n'avait pas réussi à lisser.

— « On arrive, Mulshigan », annonça le garde à l'avant.

Il ne répondit pas.

À mesure qu'ils approchaient, les bâtiments devinrent plus rares, plus bas, plus sombres. La voiture tourna dans une petite rue que personne n'empruntait sans y être invité. Au bout, un ancien entrepôt réaménagé se dressait, façade banale, mais entrée beaucoup trop surveillée pour être honnête.

Deux hommes armés contrôlaient les abords. D'autres observaient depuis le toit. Les caméras suivaient chaque mouvement.

Quand il sortit, tous se redressèrent d'un même geste.

Têtes baissées.

— « Mulshigan. »

Il traversa la cour sans ralentir. La porte s'ouvrit avant même qu'il ne l'atteigne. Un couloir étroit, l'odeur du métal, du tabac froid, du café trop fort. Plus il avançait, plus l'atmosphère changeait. Ici, aucun fan, aucun cri, aucun lightstick. Juste la peur silencieuse.

La salle du conseil se trouvait au fond, derrière une porte blindée.

Elle s'ouvrit sur une pièce circulaire, éclairée par une lumière blanche et crue. Au centre, une table noire. Autour, cinq hommes. Tous puissants. Tous armés. Tous nerveux.

— « Les cargaisons de l'Est ont été attaquées », annonça le premier sans préambule.

Mulshigan retira ses gants en cuir, lentement, comme si le temps lui appartenait.

— « Par qui ? »

— « Le Serpent Noir. Ils ont pris la moitié de la marchandise et brûlé le reste. Ils ont laissé un message. »

Il leva à peine les yeux.

— « Quel message ? »

Le deuxième homme déglutit, sortit un papier froissé.

— « "Dis à ton roi que son temps est fini." »

Une tension glacée tomba dans la salle.

Mulshigan posa ses gants sur la table, parfaitement alignés.

— « Ce territoire était sous ma protection. »

— « Justement… ils veulent voir jusqu'où elle va », tenta le troisième, la voix un peu trop aiguë.

Un coin de sa bouche se releva sans joie.

— « Ils vont vite le découvrir. »

Il se redressa.

— « Je veux leurs routes, leurs planques, leurs financiers, leurs politiciens, leurs familles. Chaque nom, chaque adresse. Sur mon bureau avant l'aube. »

— « Et si le gouvernement s'en mêle ? » demanda le dernier, plus imprudent que courageux.

Mulshigan tourna la tête vers lui, lentement.

— « Le gouvernement me doit trop de morts pour oser parler. »

L'homme détourna aussitôt le regard.

La porte s'ouvrit brutalement. Deux gardes entrèrent, traînant un homme à moitié conscient. Ses vêtements étaient tachés de sang, ses mains liées dans le dos.

— « Messager du Serpent Noir », annonça l'un d'eux. « Il refusait de parler. »

On le jeta au sol, à genoux.

Mulshigan s'approcha.

— « Tu sais qui je suis ? » demanda-t-il calmement.

Le messager tenta de relever la tête, mais ses jambes tremblaient trop.

— « Tu… tu es… »

Il n'osa pas finir.

— « Quel message devais-tu transmettre ? »

— « Que… que le Mulshigan allait tomber », balbutia-t-il.

Un bref silence.

Un tir.

Le corps s'effondra, lourd, définitif. Une tache rouge s'étala lentement sur le sol clair. Aucun des hommes autour de la table ne bougea. Certains retinrent leur respiration. Lui, ne cilla pas.

— « Nettoyez », dit-il seulement.

Il se détourna.

— « Et envoyez leur une réponse. Qu'ils sachent que je viens. »

La réunion se termina dans un chuchotement de chaises et de pas pressés. Lui quitta la pièce, repassant dans le couloir qui menait à ses appartements privés. Une petite chambre, un bureau, une armoire blindée. Le strict nécessaire.

Il s'arrêta devant le miroir fendu accroché au mur.

Là, il ne voyait plus le roi de l'ombre.

Juste un homme avec les yeux trop fatigués, trop vieux pour son âge, et une cicatrice qui refusait de se taire.

Son téléphone vibra.

Un message.

RM :

« Tu te reposes un peu ? Demain, grosse journée. On a besoin de toi, hyung. »

Ses doigts restèrent suspendus au-dessus de l'écran. Pendant une seconde, il eut envie de répondre honnêtement.

J'ai du sang sur les mains.

Je suis fatigué de survivre.

Il verrouilla le téléphone.

— « Vous n'avez aucune idée », murmura-t-il pour lui-même.

Il posa le portable sur la table et s'allongea quelques minutes, juste pour "se reposer les yeux".

La nuit passa en une poignée d'heures.

Le lendemain matin, l'odeur du café et du ramyeon instantané flottait dans le dortoir.

Jungkook traversa le salon avec un bol fumant entre les mains. Il s'arrêta net en voyant la scène.

Suga dormait sur le canapé.

Étendu de tout son long, capuche remontée jusqu'aux yeux, un bras pendant dans le vide. Une feuille de lyrics froissée était coincée sous sa main. On voyait juste dépasser un morceau de sa joue, pâle, marquée par la fatigue.

— « Hyung… » murmura Jungkook.

Il reposa son bol sur la table basse et s'approcha pour le réveiller, mais quelqu'un attrapa son poignet.

V.

Ses yeux sombres restaient fixés sur Suga.

— « Ne le réveille pas », dit-il doucement.

— « Pourquoi ? Il doit manger, sinon il va tomber pendant l'entraînement », protesta Jungkook.

V hésita.

— « Quand il dort comme ça… on dirait qu'il s'éteint. Et parfois, j'ai l'impression que si on le réveille au mauvais moment, il ne reviendra pas vraiment. »

Jungkook le regarda, un peu perdu.

— « Tu dis des trucs trop bizarres dès le matin, toi. »

Jimin passa la tête par l'encadrement de la porte.

— « Vous complotez quoi autour du canapé ? »

— « On se demandait si on le réveille », expliqua Jungkook en montrant Suga.

Jimin s'approcha à son tour. De près, on voyait mieux les cernes sous les yeux, la tension dans la mâchoire. Même endormi, Suga ne semblait pas vraiment apaisé.

— « Il a encore veillé tard », soupira Jimin. « Il écrivait quand je me suis couché. »

J-Hope débarqua avec une énergie beaucoup trop forte pour l'heure.

— « Yaaaa, on traîne ou on s'échauffe ? » Puis il aperçut Suga. « Oh. Le grand-père en hibernation. »

Il leva la main pour lui secouer l'épaule.

V lui barra la route.

— « Ne le réveille pas. »

— « À ce point ? » J-Hope haussa les sourcils. « Tu fais une tête genre "il va nous tuer dans notre sommeil". »

V le fixa sérieusement.

— « Il me fait peur, parfois. »

Le silence tomba.

Même Jungkook se figea.

— « Pas comme un méchant, » précisa V en détournant le regard. « Plutôt comme quelqu'un qui revient de très loin. »

Jin arriva à son tour, une tasse de café à la main.

— « Qu'est-ce que vous complotez tous autour de mon canapé préféré ? »

RM les rejoignit, attiré par le regroupement.

Il posa les yeux sur Suga, puis sur les autres.

— « On se demande si on le réveille », résuma Jimin.

RM observa un moment le visage endormi de leur rappeur. Il remarqua la feuille de lyrics serrée entre ses doigts, les traces d'encre sur sa main, la façon dont ses épaules semblaient plus lourdes que d'habitude.

Il inspira profondément.

— « Laissez-le. On peut répéter le début sans lui. Il nous rejoindra après. »

Jin hocha la tête.

— « On va dire que c'est son joker de sommeil. Mais ce soir, je lui fais avaler un vrai repas. »

— « Hyung, tu vas le gaver comme un gosse », rigola Jungkook.

— « Exactement. »

J-Hope soupira dramatiquement.

— « Vous avez tous peur de lui, mais moi, je n'ai peur que d'une chose : qu'il me demande de refaire une prise de danse vingt fois. »

Ils rirent doucement, s'éloignant petit à petit du canapé.

Avant de quitter la pièce, RM jeta un dernier regard à Suga.

Quelque chose l'inquiétait sans qu'il sache quoi. Comme si, derrière ce visage épuisé, il y avait un monde qu'il n'avait jamais été invité à visiter.

— « Repose-toi, hyung », murmura-t-il.

Suga remua légèrement, sans se réveiller.

Dans son sommeil, ses doigts se serrèrent autour de la feuille de lyrics.

Des mots raturés.

Des phrases à moitié effacées.

Et, entre deux lignes, une phrase qu'aucun d'eux n'avait vue :

"Je suis le roi d'un royaume qui pourrait vous détruire."

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