Le ciel avait cette couleur indécise entre l'or et le gris.
Un de ces matins où la lumière semble encore hésiter à naître.
Les pétales de cerisiers flottaient dans l'air, comme s'ils avaient oublié de tomber.
Rin Yukihara avança lentement sur le trottoir qui menait au portail de son nouveau lycée.
Le lycée HOSEIKAN.
Nouveau lieu, nouvelle règles, nouveau visages.
Une nouvelle vie... en théorie.
En pratique rien ne changeait vraiment.
Le décor seulement.
Rin avance d'un pas lent, sac sur l'épaule, écouteurs dans les oreilles.
Ses pas étaient silencieux, son visage impassible.
Le monde autour d'elle bruissait de rire, de voix, de vie.
Mais tout lui paraissait lointain.
Étroitement contenu derrière une vitre invisible.
Elle remit une mèche de ses cheveux noirs derrière son oreille.
Sa peau claire reflétait la lumière froide du matin.
Ses traits étaient fins, harmonieux, d'une beauté qui n'avait rien d'apprêté.
Une beauté calme, presque trop pure, qui attirait l'œil malgré elle.
En traversant la cour, elle sentit les regards se tourner, sans surprise.
Des voix se perdirent dans le vent.
_ C'est la nouvelle ?
_ Oui...Rin....Yukihara, je crois.
_ Elle vient de l'étranger, il paraît non ?
_ Sérieux ?
_ Elle est belle, t'as vu ? Genre... vraiment belle.
Les murmures se perdaient derrière elle, aspirés par son silence.
Rin ne répondait pas.
Elle avait appris à ignorer ces voix, non par fierté, mais par lassitude.
Elle sentait, sans même les regarder, la nervosité mêlée à la fascination dans leurs regards.
Les gens parlaient toujours, souvent sans savoir quoi dire.
Elle inspira doucement.
Les sons, les couleurs, les visages.
Tout semblait un peu trop brillant, un peu trop rapide.
Et, comme toujours, la frontière entre ce qu'elle voyait et ce qu'elle ressentait devenait floue.
Une fille au cheveux ondulé et à l'uniforme plus que coloré passa près d'elle, souriante.
Rin lui rendit un hochement poli.
Mais dans le reflet d'une fenêtre, le sourire de la fille se figea.
Ses yeux étaient vides, ses lèvre immobiles.
Rin s'immobilisa.
Puis cligna des yeux.
Et tout redevint normal.
Encore....pensa-t-elle. Toujours la même chose.
Elle reprit sa marche.
Un garçon éclata de rire à quelque mètres.
Mais sous son rire, elle sentit quelque chose d'autre : une peur, un tremblement, un vide.
Les véritables émotions des autres la traversaient, s'accrochaient à elle comme des ombres.
Rin s'arrêta un instant, leva les yeux vers le ciel.
Les branches des cerisiers s'inclinaient doucement au dessus d' elle.
Des pétales tombèrent sur ses épaules, fondant comme de la neige.
Un jour, peut-être, pensa-t-elle, je verrai quelqu'un sans que son image se brise.
Un crie, porté par le vent :
_ Hé, la nouvelle ! T'as l'air perdue !
Elle tourna la tête.
Un élève lui faisait signe depuis l'entrée du bâtiment.
Elle esquissa un léger sourire, poli, presque vide.
_ Non. Pas perdue. Juste... en retard.
Elle s'éloigna, laissant le garçon cligner des yeux, un peu déconcerté.
Le portail du lycée Hoseikan se referma doucement derrière elle.
Et, dans ce bruit de métal, commença l'histoire de celle qui voyait le monde se fissurer à chaque regard.
Et, sans s'en douter, ce jour-là...
Quelqu'un la regardait déjà.
Fin du chapitre 1