Cherreads

Chapter 18 - Saïna, chasseuse d'Egara.

 Comment a-t-il pu oser lui faire ça ? Hetros a dû la voir les suivre, l'air de rien. Il a dû la voir se lever juste après qu'ils l'ont dépassée et les suivre à bonne distance. Elle aurait dû aller leur parler directement, du moins c'est le message qu'il lui fait passer en bloquant la porte de la sorte. Ça lui ressemble tant que Regia refuse de croire qu'il en aille autrement.

 Elle inspire en regardant la porte, soupire. Elle commence par pousser simplement, puis plus fort. Inutile. Elle colle l'oreille dans l'espoir d'entendre, mais rien n'y fait. Elle perçoit seulement le vent qui balaie l'extérieur.

 Il va le lui payer. C'est sûr.

 Elle pousse de nouveau, plus fort. Observe le couloir derrière elle pour s'assurer qu'il n'y a personne et met un coup d'épaule juste à côté de la poignée, comme elle a vu sa nourrice faire il y a longtemps. Le loquet s'enclenche au même instant, réduisant à néant la résistance de la porte. Regia tape ainsi dans une porte ouverte, écarquille les yeux et perd l'équilibre avant de les fermer.

 Elle tombe et, lorsqu'elle rouvre les yeux, voit la nouvelle penchée sur elle, son regard carmin mi-inquiet mi-amusé.

 « Tout va bien ? »

 Regia réalise alors et secoue la tête pour s'extirper de cette légère torpeur. Elle entame de se lever, glisse sur un gravillon, mais se retrouve comme suspendue juste au-dessus du sol. D'un mouvement d'une simplicité absolue, Saïna la relève.

 Regia se retourne et l'observe, puis balaie l'allée qui sépare les différents terrains. Pas d'autres élèves. Pas d'autres nobles pour relever le détail et l'utiliser contre elle lors d'un bal, ou d'une rencontre, ou d'un débat. Elle soupire, revient à Saïna.

 « Tu es sûre que tout va bien ?

 — Oui, oui. Merci. »

 Un sourire simple, un léger pencher de tête élégant, la contourner et ramasser le peu de dignité encore…

 « Je peux savoir pourquoi tu nous suivais, du coup ? »

 Regia se fige, glacée par la question. Enfoiré d'Hetros. Comment a-t-il pu… Non, il est trop tôt pour réfléchir à ça. Elle se tourne.

 « Je ne vois pas de quoi tu parles.

 — J'ai reconnu ton parfum. »

 Pardon ?

 « Mon parfum ?

 — Oui, rose et lilas. » Elle a vraiment reconnu son parfum. « C'est discret, mais nous avons été suffisamment proches pendant le cours pour que je le retienne.

 — C'est… » Comment a-t-elle pu ? Est-ce que… « C'est formidable… »

 Les mots lui ont échappé. Ainsi la rumeur sur sa formation de chasseuse n'était pas fausse ; et soudain réalise.

 « Mais attends, si tu as réussi à percevoir mon odeur, qu'en est-il du moment passé avec Monsieur Flikr ? »

 Ça a dû être horrible. Regia elle-même ne supporte pas le mélange de vin et d'anis qu'exhale l'homme à toute heure.

 « L'un des pires quarts d'heure de mon existence, oui. Quoi qu'il en soit…

 — Quoi qu'il en soit ? »

 Et le visage de Saïna s'illumine d'une telle joie espiègle que Regia blêmit en comprenant.

 « Quoi qu'il en soit, tu nous suivais bel et bien.

 — Je… » Regia ? « Je… »

 Le regard amusé de la nouvelle ne décroche pas du sien. Deux secondes passent, peut-être trois, sans qu'aucune explication ne vienne. Aucune raison. Rien. Pourquoi ne trouve-t-elle rien devant une nouvelle qui n'est même pas noble ? Pourquoi elle, Regia de Lorl, ne peut encore une fois pas se défendre ?

 Elle inspire, va pour s'excuser et percute le sourire tendre de Saïna.

 « T'inquiète, c'était juste pour rire. » Pour rire ? « On y va ?

 — … » Un soupir : elle n'est pas comme eux ; et sourit. « Oui. »

 Et, l'air de rien, Saïna prend la tête.

 « Je m'appelle Saïna.

 — Regia. Regia de Lorl.

 — Dis-moi, Regia, est-ce que tu connais Hetros ? » Elle lui lance un nouveau regard amusé. « Tu sais, le garçon avec lequel je marchais il y a quelques instants. »

 Regia sent le feu monter à ses joues. Pourquoi a-t-elle essayé de les suivre ?

 « Oui, c'est l'héritier de la maison Lorl et le futur protecteur des Flammes du nord. » Une pause, légère et exaspérée à la fois. « C'est aussi mon cousin.

 — Oh, je vois. »

 Et Regia ne comprend pas la légère inflexion dans la voix de Saïna. Comment ça, elle voit ? Que voit-elle ? Comment ? Elle n'a pas le temps d'y réfléchir plus qu'elles sont devant le terrain numéro deux : une grande étendue de terre battue pourvue de cibles, de mannequins en paille et d'un gradin en pierre grise. Non loin des escaliers ont été placés des supports où reposent quantité d'armes en tout genre : épées, haches, masses, arcs… Il y a même un fouet, probablement à la demande de Regia.

 Elles avancent et d'un geste si naturel qu'on croirait l'arme lui appartenant, Saïna se saisit de l'un des arcs et d'un carquois, qu'elle se passe par-dessus l'épaule. Regia fait de même avec le fouet, qui se déroule évidemment. Elle essaie tant bien que mal de mieux le récupérer une, deux, trois fois avant d'abandonner. Elle le prendra lorsque ce sera nécessaire, pas avant.

 « Tu veux un coup de main ? »

 La question arrache un léger cri à Regia. Saïna, juste derrière elle, la scrute d'un air amusé. D'un mouvement simple, rien de plus qu'une petite pousse de l'épaule, elle se place entre Regia et le fouet.

 « C'est assez simple, il suffit que tu prennes l'ensemble des boucles en une fois. » Elle empoigne alors l'arme, puis lève les yeux vers Regia. « Tu vois ?

 — Oui. »

 Saïna s'écarte, Regia suit son exemple et, cette fois, l'arme ne tombe ni ne se déroule.

 « Merci.

 — De rien. »

 Et elles grimpent les gradins pour s'installer au dernier niveau.

 Les cliquetis et tintements ne tardent pas à résonner. Les reflets lumineux également.

 Le reste de leur classe arrive, toutes et tous vêtus d'équipements superbes, ici une armure à plaque si parfaitement polie qu'elle en réverbère la lumière de Larfill, là une hallebarde si grande que Tori doit la traîner sur le sol, un peu plus loin des épaulières à pointe qui rappellent le Héros fondateur de la nation.

 Ils sont superbes avec leurs armes étranges et leurs armures serties de cristaux, bien plus que Regia qui n'a appris le fouet que par obligation et ne sera jamais une fière guerrière de l'Incendie.

 Un ricanement de Saïna brise l'aura sublime de leur arrivée.

 « Alors c'est pour ça qu'il m'a dit que j'allais bien rigoler…

 — Qui ça ?

 — Hetros.

 — Pourquoi ?

 — Oh tu verras, Regia. Tu verras. »

 Et encore une fois, elle, la noble formée à l'art du discours depuis sa plus tendre enfance, ne comprend pas ce qu'une paysanne essaie de lui dire. Pourtant, cette fois, Regia ne démord pas. Elle veut comprendre.

 « Je ne vois pourtant pas ce qu'il y a de drôle. La majorité d'entre eux ont été formés pendant leur jeunesse et portent des équipements créés par des maîtres forgerons spécialement pour eux.

 — Peut-être… Mais tu crois vraiment qu'ils portaient ces mêmes équipements pendant leurs entraînements ? Qu'ils savent s'en servir ?

 — Qu'est-ce t'as dit ? »

 Kvin, dont la voix émerge de l'armure à plaque. Il enlève son casque et sa tignasse blonde, trempée de sueur, colle à ses tempes et dans son cou.

 « Un seul de mes gants a coûté plus cher que tout ton équipement de paysanne. »

 La grande majorité des élèves rient, à l'exception de Driss et Nero. Eux scrutent étrangement la nouvelle, qui ne se démonte pas.

 « Peut-être, mais au moins je sais m'en servir.

 — Pardon ?!

 — Allez tous vous asseoir. »

 Un homme a pénétré le terrain. Cheveux blonds cendrés, regard vert perçant et cicatrice qui lui divise le visage ; bien qu'elle ne l'ait jamais rencontré personnellement, Regia reconnaît immédiatement le professeur Alastor.

 Il porte une chemise blanche très simple et un pantalon de cuir brun. À gauche de sa ceinture trône une épée et à droite une autre lame, un genre de poignard extrêmement fin.

 Il n'attend pas qu'ils soient tous assis.

 « Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans votre premier cours d'Initiation au combat. » Il dégaine la dague et, de gestes plus qu'adroits, la fait virevolter sans la regarder. « Je serai votre professeur pour les deux années à venir, et le seul cette année que vous aurez dans cette matière. Oui, vous allez m'avoir sur le dos un paquet de temps. » Un bref sourire en coin « Mon objectif est simple : m'assurer que vous ne mourriez pas dès votre premier pas hors de l'école.

 — Il est sans faille apparente. »

 Intriguée, Regia se tourne vers Saïna, qui observe… non, scrute l'avancée du professeur. Elle a d'ailleurs sûrement plus dit cela pour elle-même que pour un quelconque auditeur. Malgré elle, Regia sourit.

 « Votre travail du jour sera d'une simplicité absolue : venir devant tout le monde et nous montrer ce que vous savez faire. » Il s'arrête, se tourne vers la classe. « Je sais que nombre d'entre vous sont arrivés avec des recommandations de leurs instructeurs, de leurs proches et de tout un tas de personnes très bien intentionnées… » Il les balaie du regard. « Mais je reste convaincu qu'une image vaudra cent lettres. » Il soupire, arrête de jouer avec sa dague et sort une feuille de la poche droite de son pantalon. « Très bien. Tori Dovastin ?

 — Oui, professeur ?

 — Après vous. »

 Il désigne l'un des mannequins avec la feuille tout en allant s'asseoir. Tori, une grande blonde filiforme toujours empêtrée dans des vêtements mal taillés, descend.

 « Vous connaissez la règle : vous venez devant, vous vous présentez et indiquez l'arme désirée, puis vous nous faites votre démonstration. Oh, et pour rappel : à moins que vous n'utilisiez votre don pour améliorer vos aptitudes physiques ou modifier les propriétés de votre arme, je ne veux rien savoir de votre élément. Pour l'instant du moins. »

 Il a le ton las, la voix égale.

 « Tori Dovastin, j'ai suivi les enseignements du Pique-ciel. Je vais vous montrer mes aptitudes à la hallebarde.

 — Le Pique-ciel ? »

 La question de Saïna ne surprend pas Regia, qui répond pendant que leur camarade se dirige devant sa cible.

 « C'est un guerrier du sud, membre de l'armée maritime de la famille Dorïn.

 — Et pourquoi Pique-ciel ?

 — Parce qu'il s'est illustré il y a dix ans lors de l'invasion de harpies Oubliées et…

 — Ah oui, bien sûr. »

 Le ton de Saïna, mi-faux mi-étonné, est sans équivoque : elle s'en fiche. Tant pis pour elle, Regia revient vers Tori, dont l'arme a creusé un sillon dans la terre.

 Elle inspire, expire. Ses doigts se crispent alors et, bandant tous ses muscles, elle fait un grand arc de cercle avec sa hallebarde. L'extrémité de l'arme suit ainsi un large croissant de lune ascendant, manque le mannequin de peu. La lame continue de monter et, lorsqu'elle atteint son zénith, Tori hurle et la fait redescendre violemment. Le choc contre la terre fait vibrer le sol et soulève un petit nuage de poussière.

 « Wow…

 — Elle devrait se muscler un peu plus. Ou choisir une arme plus légère. »

 Regia et Saïna ont parlé en même temps. La première murmure en réponse.

 « Saïna !

 — Quoi ?

 — Elle va t'entendre. »

 Saïna hausse les sourcils pour toute réponse, sans détacher le regard du nuage de fumée. Elle n'a d'ailleurs pas quitté l'action des yeux.

 Le professeur Alastor lève alors la main vers le nuage et une fine brise le disperse pour dévoiler un mannequin intact, une hallebarde plantée dans le sol et Tori se malaxant le poignet droit.

 « Vous pouvez aller vous rasseoir.

 — Mais…

 — Pas d'inquiétude, j'ai ce qu'il me faut. Vous pouvez laisser votre arme-là. »

 Tori soupire et part.

 « Bien. Glenn Gogastol ?

 — J'arrive, professeur. »

 Glenn, toujours aussi pâle, presque maladif, descend à son tour. Il porte une armure d'assez simple facture, des gants de forgerons et trois marteaux de tailles variées à la ceinture.

 « Glenn Gogastol. Je descends des Forgerons guerriers de Gasal. Je me bats au marteau.

 — Allez-y. »

 Saïna se masse l'arête du nez en soupirant. Encore un qui ne semble pas lui convenir.

 Glenn s'approche de son mannequin, dégaine ses deux plus courts marteaux, le droit en prise normale et le gauche en prise à revers.

 « Mais qu'est-ce qu'il fait celui-là ? »

 Regia n'a pas le temps d'évoquer la fameuse lignée des Forgerons guerriers, artisans forts et fiers de la première ligne, toujours prêts à créer de nouvelles armes pour leurs alliés, que Glenn a déjà commencé.

 Il court sur son mannequin, le frappe du marteau droit à la main gauche, puis du marteau gauche aux côtes. Il se remet en garde, visiblement prêt à viser la tête, mais l'une de ses armes lui échappe et vole contre un autre mannequin.

 « Mouais.

 — Mouais ?

 — Attaquer les extrémités en premier ne sert généralement à rien. Il vaut mieux viser une partie qui a moins de chance d'esquiver par hasard. »

 Glenn est renvoyé à sa place et le défilé continue. Défilé au cours duquel Saïna s'applique à pointer les faiblesses de chacun, pour elle-même et Regia. Justio n'est pas mauvais dans sa maîtrise de la rapière, mais l'un des pics de glace a failli éborgné le professeur, Lona est tombée en lançant son deuxième javelot — quelle idée de vouloir en tirer un avec chaque main ? —, Kvin est si peu habitué à son armure que des gouttes de sueur s'en échappent…

 « Très bien. »

 Et l'exaspération du professeur grimpe avec la violence des remarques de Saïna. Heureusement qu'il ne l'entend pas.

 « Nero ?

 — J'arrive. »

 Et Nero descend, habillé on ne peut plus simplement, presque comme le professeur. Seuls ses gants, mélange de cuir et de plaques d'acier, détonnent.

 « Nero, de Passe-feu. Je suis pugiliste.

 — Ah ? »

 Saïna s'avance légèrement, les sourcils froncés d'intérêt.

 Nero se met donc en garde, comme tous les autres. Il inspire profondément et le temps semble ralentir autour de lui. Soudain il brise sa garde et bondit. Enchaîne un direct du droit avec un crochet du gauche. Il n'arrête pas la rotation de son corps et, d'un mouvement d'une légèreté surréaliste, met un coup de pied retourné au mannequin. Son pied de nouveau au sol, il bascule ses appuis, recule son torse et rapproche ses mains l'une de l'autre.

 Le temps ralentit de nouveau et, une fraction de seconde plus tard, le corps tout entier de Nero semble s'allonger. Les paumes de ses mains percutent le mannequin et une puissante gerbe de flammes en carbonise le tronc. Les membres et la tête tombent tandis que Nero se retourne. Tous l'observent, visiblement choqués par ce qu'un Cent-nom vient de faire. Saïna, elle, sourit.

 « Lui est vraiment doué.

 — Très bien, Nero. Suivante… Regia de Lorl ? »

 La simple mention de son nom crispe Regia. Évidemment qu'elle allait y passer elle aussi.

 « Regia de Lorl ?

 — Oui, Professeur. »

 Elle soupire largement et se lève. Elle sent tous les regards sur elle tandis qu'elle descend les gradins et, lorsqu'elle se tourne, ne peut que se confirmer qu'ils la regardent tous. Seule Saïna n'est pas encore passée et, selon elle, il y a eu de très mauvaises performances. Regia peut s'en sortir. Peut-être.

 « Eh bien ?

 — Oh. » Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. « Regia de Lorl, je manie le fouet. »

 Son instructrice le lui a conseillé il y a longtemps. Une arme pouvant être complexe, mais dont l'utilité ne varie que peu. Utilisable contre les humains, pratique contre les monstres et les animaux ; peu encombrante et lourde. Très adaptée pour une future stratège… Du moins c'est ce que Regia se répète tandis qu'elle s'approche du mannequin.

 Bon. Elle laisse son arme se dérouler. Deux lacérations et un coup pour agripper une main. Elle l'a fait des centaines de fois, l'a réussi une dizaine.

 Elle inspire, raffermit sa prise, entame son attaque. Le premier coup claque au-dessus du mannequin, le deuxième derrière elle. Un rire explose derrière elle et Regia perd son calme. Elle doit y arriver. Coûte que coûte. Au moins une fois ! Les mouvements s'enchaînent et elle ne sent que trop tard le fouet s'enrouler autour de sa cheville. Si tard qu'elle a déjà amorcé une ultime tentative. Le cuir se tend, surprend Regia et la déséquilibre.

 Elle est au sol l'instant d'après. De nouveaux rires explosent tandis que Regia essaie de défaire le nœud du fouet. Et plus elle tire, plus l'étreinte se resserre.

 Elle lève les yeux vers les gradins, voit Saïna qui s'est levée et le professeur qui approche. Il s'accroupit sans un mot et détache le nœud avec une aisance qui fait rougir puis blêmir Regia… Il a fallu qu'elle fasse honte à son nom.

 Un simple merci avant de se lever et de retourner à sa place. Pourquoi n'a-t-elle pas ne serait qu'une once de talent aux armes ? Pourquoi ne peut-elle pas se défendre ? Elle entend bien qu'on lui parle tandis qu'elle remonte les marches. Elle sait qu'ils se moquent d'elle, mais leurs remarques se perdent dans les reproches de Regia elle-même.

 Elle finit par s'asseoir, voit Saïna devant le professeur.

 « Saïna, chasseuse d'Egara.

 — Essaie de faire mieux qu'la Lorl ! »

 À nouveau le sang Regia reflut de ses joues, de ses mains. De son corps tout entier. Ne pas regarder Kvin, ne pas lui donner de satisfaction dans cet unique domaine où il la supplante.

 Saïna, elle, ne réagit pas. Elle ne lève même pas les yeux vers Kvin. Ce ne sont pas ses affaires après tout.

 Elle se tourne, empoigne son arc de la main droite, une flèche dans la gauche. Elle avance d'un pas, tire la flèche. Elle se plante dans le mille d'une des cibles du fond. Nouveau pas, nouvelle flèche, nouveau mille, sur la gauche cette fois. Une troisième, puis une quatrième, et Regia contemple le calme qui entoure la chasseuse. Elle ne cligne pas des yeux, ne les écarquille pas, n'accélère, ni ne décélère. Elle ne semble même pas avoir à forcer.

 Elle en est à sa huitième qu'elle pivote et tire une flèche dans l'un des mannequins. La neuvième fuse vers les gradins, semble viser le professeur, mais se plante une dizaine de centimètres au-dessus, entre les jambes de Kvin. Un fin sifflement, né du métal brûlant qui refroidit dans la pierre, conclut sa démonstration.

 « Nan mais t'es malade ?

 — La ferme, Kvin. »

 La voix de Nero a grondé, une grande première si l'on considère que c'est son acolyte qui en est la cible. Ce dernier ne répond pas et Regia ferme les yeux. Elle se concentre au plus possible, imagine que la matière n'existe plus et active son regard cristallin… Saïna est entourée d'une petite, mais bien réelle, tempête rougeoyante.

 « J'imagine que les cibles fixes ne te sont plus d'aucune utilité ? »

 Comme pour Nero, la voix du professeur semble intéressée. Deux sur toute la classe…

 « Seulement si elles sont particulièrement loin ou que le champ de tir est entravé.

 — Je vois. »

 Saïna se penche alors et remonte vers Regia, tout sourire. Elle incendie du regard Kvin lorsqu'elle passe à son niveau. Il faut qu'elle apprenne ça à Regia. Elle pourrait le faire : une fille du même âge, et pas une noble qui plus est… D'autant plus que Regia peut très largement la rémunérer.

 Elle attend donc que Saïna s'installe et, d'une voix à moitié étranglée, demande :

 « Est-ce que tu peux m'apprendre à me battre ?

 — Comment ? »

 Regia ferme les yeux et déglutit difficilement.

 « Je crois que tu as beaucoup de choses à m'apprendre.

 — Oh, mais toi aussi Regia. »

 Regia lève alors les yeux et tombe sur le grand sourire de Saïna.

 « Hein ?

 — La théorie, Regia. La théorie… »

More Chapters