C'était un jour comme les autres, un jour de cours normal.
Ash levait les yeux pour la énième fois, quand Tara, la meilleure élève de la classe, levait aussi pour la énième fois la main pour répondre au professeur. On dit que c'est la plus brillante de tout l'établissement confondu, tous les profs la vénèrent. C'était une élève irréprochable, contrairement à l'éternelle numéro deux, souvent accusée d'insolence : Ash. Celle qui adoptait plutôt un comportement rebelle et hors convention, souvent considéré cynique. Mais pour l'Analyste encore officieuse, c'était une évidence, elle était largement au dessus de cette Sentinelle fugitive de l'Ouest. Mais ça, bien sûr que personne ne le savait.
Si le cas des transferts (comme celle de sa sœur) ne comptaient pas plus d'une dizaine par an, les fugitifs, eux, étaient en marée. Beaucoup d'occidentaux préfèrent la tyrannie militaire et la misère des castes les plus basses à une terre de maladie et de scientifiques fous.
Les parents de Tara en font partie. C'étaient de simples Sentinelles, excepté le père, Diplomate, qui se hissa vite à un poste politique important après leur Test. Leur train de vie est devenu plus aisé, leur permettant d'offrir une éducation à leur fille si "brillante".
Ash ricana intérieurement en y repensant.
Sauf que Tara était malade, et faisait constamment des rechutes. Là déjà, elle toussotait après s'être rassise.
Encore une fois, rien n'échappait à sa camarade qui fixait un point invisible dans sa nuque, en se repassant son histoire en tête, comme si c'était une leçon bien apprise. Ash savais que Tara était en proie à la mutation. Ses parents ont dû être des porteurs sains et le lui ont transmis par gène. Voilà pourquoi la mutation se developpait sous forme de maladie : lentement, mais sûrement. Enfin, c'était une théorie comme tant d'autres, comme elle s'amusait à s'en formuler. Mais celle là était bien la plus logique, et une Analyste se trompe rarement dans ses observations.
Un autre point à ne pas nier : les bonnes capacités intellectuelles de la Sentinelle, elle le devait à ses origines : les occidentaux ont regroupé les intellectuels de l'après et l'avant guerre. Comme on dit, l'intelligence, ça doit être héréditaire non?
Alors si la présence d'une fugitive, se disait Ash, pouvait enchanter une poignée de gens miséreux qui continuent de croire en une jeunesse qui constituera l'avenir du pays de sa patrie, elle n'irait pas jouer les comères et divulguer cette information qu'elle détenait, malgré elle.
Elle lache un soupire. Parfois, son modèle de personnalité était un handicap, elle aurait aimé ne jamais savoir des choses qu'elle a découverte à cause de sa curiosité innée. Parfois, elle aurait aimé être bête, rester ignorante, parce que les secrets des autres étaient lourds à porter.
Mais ce jour là, tout s'arrête.
Des hommes du gouvernement ont débarqué au beau milieu du cours, sous les regards incrédules de toute la classe. Il s'adresse d'abord au professeur.
-Nos excuses pour l'interruption. Ash Greyson. Veuillez nous suivre.
PDV: Ash
Je me lève, et me dirige calmement vers le grand homme en costume noir qui me conduit dehors où une voiture nous attend déjà. Derrière moi, je sens les regards interrogateurs et les chuchotements ne tardent à s'élever. Avant de monter dans le véhicule, je jette un œil en direction du bâtiment principal. On pouvait deviner les attroupements d'élèves autour des fenêtres en train de m'observer, curieux et interrogateurs.
On observant les allées et les infrastructures devant lesquels nous passons: gris, morne, tous pareil, et rectangulaire, j'en déduis que nous nous dirigeons vers le centre ville.
L'inévitable est finalement arrivé, je ne m'attendais portant pas à un tel prestation devant toute l'école.
(...)
Ça fait plus d'une heure que je patiente dans ce couloir froid et vide. Assise sur un canapé rêche en cuire craquelé, je ne peux m'empêcher de songer à ce que je vais devenir maintenant. Et maman?
C'est à ce moment qu'une femme d'un certain âge apparaît enfin, un dossier en main. Je suppose que c'est le mien. Elle interpelle mon nom, et je la suis dans la pièce d'où elle émerge.
J'ai passé et subi plusieurs tests, scanner et examen. On m'a prélevé du sang, mise en observation etc...
14:27
L'heure du déjeuner est déjà passée, quelle dommage d'avoir raté le jour du gratin à la cantine
Cependant, pas besoin d'être devin pour savoir que les résultats ont donné Analyste, une fois que la bonne femme revient, encore plus de paperasse à la main après m'avoir laissée une fois de plus sur ce canapé déplorable.
Je le savais déjà depuis des années, mais aujourd'hui, je serai inscrite dans la liste officielle du gouvernement.
Mon ventre gargouille.
Je m'étonne aussi un peu qu'ils ont autant tardé à venir me chercher.
Je me demande quelles paramètres sont utilisés pour détecter un enfant Analyste dans la population.
Je remettrai cette réflexion à plus tard, car on me conduit cette fois vers une autre salle où un homme chauve, aussi grand que musclé m'attend. Sur son avant-bras dégagé par le t-shirt sans manche qu'il porte, j'observe une série de chiffres tatouée. C'est un Analyste lui aussi. Le matériel disposé sur l'unique table de cette nouvelle pièce laisse comprendre ce que je viens faire ici.
Un dermographe, des aiguilles de toutes sortes, des cartouches d'encre, une lampe, des gants, des bandages... : tous serviront à me marquer à jamais en tant que nouvelle outil au service du gouvernement
- Matricule 188117, cite celle qui m'accompagne, en jettant un œil sur la fiche entre ses mains. Où souhaitez vous inscrire votre numéro ?
J'hésite.
Faudrait-il que je me fasse tatouer mon matricule sur un endroit plus couvert, ou un autre qui est facilement repérable?
À peine une demie heure plus tard, je contemple ma main gauche, bandée, où l'on a tracé à l'encre noir indélébile, six chiffres bien alignés
188117.
Je suis donc la 188117ème Analyste enregistrée dans les archives de l'Etat.
Six chiffres.
J'ai du mal à me faire à l'idée que je suis marquée à vie par une série de chiffres, qui seront utilisés pour me déterminer à partir de maintenant.
Enfin, peu importe. Un noeud se forme au creux de mon estomac, non pas à cause de la faim, mais parce que je sais que ce qui m'attend est plus dure que cette idée là.