Cherreads

Chapter 1 - chapitre1

Souvent, les pires décisions sont celles qui nous conduisent aux évènements les plus inattendus. J'aurais pu vivre ma vie sans jamais me soucier de qui que ce soit, enfermé dans des livres à feuilleter des pages sans but précis — enfin, pour seul but d'avoir quelque chose à faire, de ne pas être un poids pour la société. Pour cette société qui te dicte ce que tu dois ou ne dois pas faire, suivre la loi est obligatoire, et la détourner est puni. D'après ce qu'ils nous disent, nous devons vivre selon leurs règles, dans un système où tous ceux qui désobéissent à leurs règles sont sévèrement punis. D'une part, c'est aussi pour eux un moyen de pouvoir nous contrôler ; et cette méthode de manipulation est infaillible : elle s'appelle la peur.

Vivre dans la peur, c'est limiter ses capacités. En effet, l'être humain est doté de compétences que le système veut faire oublier, et ça, je l'ai compris un peu trop tard. Bon, pas trop tard pour changer en tout cas, mais je m'en veux quand même de ne pas avoir vite pris conscience de ça.

Mon nom est Ange, juste Ange ; un garçon comme les autres, qui fait la fierté de ses parents à travers ses résultats scolaires. Brillant intello de ma génération, les profs me tiennent souvent en exemple afin de recadrer mes amis :

« Réussir à l'école, c'est s'assurer les portes d'un avenir brillant », répétait le prof de français à chaque cours. Ce qui avait pour but d'irriter mes chers voisins de classe — en particulier Gabriel, un élève qui incarnait tout le contraire de ma personne. Plutôt grand de taille, charmant de par son physique et aussi par son tempérament rebelle, il ne se pliait jamais aux règles.

C'était le parfait imbécile de la classe, qui ne manquait jamais les visites de correction chez le proviseur. Malgré ses nombreux défauts — définis par moi comme étant purement intellectuels — il ne demeurait pas moins le plus populaire de l'école, et de loin, dans le cœur des filles. Il avait ce petit quelque chose qui rendait folles les filles. Était-ce sa vibe, son énergie, son sourire ou même son charisme ? Peut-être son côté un peu bagarreur ? Je dois avouer qu'à l'époque, je ne le portais pas trop dans mon cœur, pour ne pas dire que je le haïssais.

C'était sans doute parce qu'il avait tout ce dont je rêvais d'avoir : les femmes, une vie sociale bien organisée et, par-dessus tout, la liberté.

Oui, cette liberté dont je rêve depuis tout ce temps. Depuis ma tendre enfance, je crois que je n'ai jamais vraiment vécu. Lire des livres, bosser des leçons, et m'efforcer d'être un exemple et une fierté pour mes parents, ce n'est pas vraiment ce que j'appelle une vie. J'ai toujours vécu dans le cocon familial, à l'abri de tout risque et danger, de toute influence sociale. Et ce que j'enviais le plus chez Gabriel, c'était le ton naturel qu'il employait à chaque fois qu'il s'adressait aux filles.

Dans nos sociétés, on nous a toujours appris à respecter les femmes et à les mettre sur un piédestal. Mais de ce que je voyais et comprenais en observant Gabriel, c'est qu'il n'avait rien à foutre de toutes ces formules de politesse, bonnes pour les sympas comme moi.

Comme je l'ai dit, c'était un bad boy, qui n'avait rien à foutre des bonnes manières. Il s'en foutait complètement des filles.

C'était à se demander, même en le voyant agir, s'il éprouvait une quelconque attirance pour ces créatures que je désirais tant. Mais qui, malgré la maltraitance verbale et physique subie, étaient toutes sous le charme de ce malheureux Gabriel.

Peut-être était-ce sa manière à lui de se faire remarquer auprès d'elles. En effet, si on peut dire que j'ai appris quelque chose de lui, c'est que l'apparence joue un rôle capital sur l'image que les autres se font de toi. On pourra dire ça comme ça, car en dépit de ses nombreux défauts — jugés par moi — je ne manquerais pas de dire que ce vieil Gabriel avait du style. Toujours bien parfumé et vêtu de ses streetwear, il arborait fièrement un style engagé. Il n'était jamais dans des vêtements sales ni même non repassés. C'était l'exemple même de la propreté.

On se croisait de temps en temps dans les couloirs de l'école après les cours, mais avec des regards fuyants. Bref, j'étais habitué à fuir la société, et la société était habituée à me fuir aussi. Un gros gamin de 17 ans comme moi, qui n'avait aucun ami, ni même une petite amie, mais qui était toujours le bourreau de ses collègues de classe lorsqu'il s'agissait pour lui de faire régner l'ordre dans la classe en l'absence du prof.

J'étais le chef de classe, et je me devais, en toute circonstance, de recadrer mes chers collègues. Et ce n'était pas par hasard ni par rancune que ce jour-là, j'ai dit ça :

— « Tais-toi Gabriel, ou je vais devoir t'envoyer chez le proviseur », disais-je devant toute la classe. En ayant pris une grande respiration, j'avais pour la première fois pu dire son nom, mais sur un ton plutôt grossier. Je m'en foutais complètement qu'il soit le chouchou des nanas, et la réaction des filles ne m'a du tout pas étonné.

Cependant, j'avais perdu tout repère.

— « Tu te prends pour qui pour lui parler comme ça, toi ? », dirent les filles, toutes en colère et semblant prendre la défense de Gabriel.

— « Non, désolé… je… je ne… ne voulais pas… »

J'étais en train de balbutier devant des créatures que j'étais censé dominer. C'était à ne rien comprendre. Dans ces moments-là, je me demandais où est-ce que lui trouvait la force de leur résister. J'étais perdu avec les nombreuses reproches qu'elles me faisaient, j'étais en train de perdre connaissance — si je peux le dire ainsi.

Mais la chose qui m'a le plus troublé, c'est sa réaction à lui :

— « C'est bon, il ne m'a rien fait, foutez-lui la paix ! », leur ordonna-t-il.

Je n'en demeurais pas moins surpris, et ce simple geste de sa part a suffi pour changer l'image que je me faisais de lui dans ma tête.

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