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Chapter 1 - CHAPITRE 1: Chapitre 1 : Singularité

Les horloges digitales affichaient 03h47, mais l'univers semblait suspendu dans un silence presque religieux. Au fond du laboratoire du Centre de Recherche Avancée en Technologies Transhumaines de OuagaTech, une silhouette se tenait droite devant un écran incurvé affichant des équations multicolores.

Il avait les traits tirés, les paupières lourdes, les joues creuses d'un homme qui avait oublié de manger depuis des heures, voire des jours. Mais ses yeux, eux, luisaient de cette lueur propre aux obsédés de vérité. Cette fièvre de l'esprit qui pousse certains à franchir les limites de la science pour percer les secrets du monde.

Il s'appelait Michael Anges ZON.

Fils unique d'une bibliothécaire et d'un ancien mécanicien devenu enseignant de lycée, Michael avait toujours été "à part". Dès l'âge de huit ans, il corrigeait les devoirs de physique des élèves du lycée. À treize ans, il participait à des concours nationaux de mathématiques. À dix-sept ans, il fut le plus jeune étudiant jamais admis dans trois filières simultanées à l'Université OuagaTech : mathématiques fondamentales, ingénierie quantique, et histoire des civilisations africaines.

Mais ce qui le rendait unique, ce n'était pas seulement son intelligence — c'était sa vision.

Depuis plusieurs années, il poursuivait un rêve fou : relier la mémoire ancestrale à la conscience moderne.

L'idée était née lors d'un cours d'histoire sur Tombouctou, où son professeur avait parlé de manuscrits décrivant des astres invisibles à l'œil nu. Comment ces savants, au XIIIe siècle, avaient-ils su ? Et si... les peuples anciens avaient laissé des traces, non dans la pierre, mais dans la psyché collective ? Une mémoire cachée, enfouie dans l'esprit humain, transmise de génération en génération ?

Michael avait baptisé son projet : SANKORE, du nom de l'Université la plus célèbre du monde médiéval africain. Son objectif ? Créer un pont entre la mémoire historique et la conscience humaine, via un champ quantique de résonance neuronale.

Cette nuit-là, il allait faire l'expérience ultime : l'injection directe de son propre esprit dans le Réseau de Conscience Ancestrale, en passant par un système complexe d'ondes k-résonantes.

Il s'installa dans le siège ergonomique, enserré de capteurs, attacha le casque neural, et respira profondément.

"Pas une simulation. Pas un rêve lucide. Une véritable immersion cognitive profonde dans le tissu mémoriel du continent", murmura-t-il.

Il lança la commande :

[  Sankore.initialize { sequence: [theta, delta, ancestral-echo], user: michael_anges }]

Les lumières s'éteignirent.

Un bourdonnement lourd monta dans l'air, suivi de flashs lumineux au rythme irrégulier. Les données affluaient sur les écrans. Le système atteignait une fréquence inconnue.

Soudain, un pic de tension. Un bip strident. Puis...

BOUM.

Une lumière blanche. Un vacarme assourdissant. L'odeur de brûlé. Puis... le vide.

🌍 …et puis, le monde. Il se réveilla dans une chaleur écrasante. Le ciel au-dessus de lui était vaste, d'un bleu vif, sans aucune trace de pollution. Des oiseaux exotiques volaient en cercle. L'air sentait la terre, la sueur, et la cendre.

Il n'était plus dans son laboratoire. Il n'était plus en 2025.

Il était... ailleurs.

Il se redressa brusquement, couvert de poussière, nu comme un ver. Son cœur battait à tout rompre. Ses sens étaient... trop réels. Il ne reconnaissait pas les sons — tambours au loin, chants, hennissements d'animaux — ni l'odeur de l'air, riche, minérale, presque crue.

Il se trouvait près d'un fleuve large, bordé d'une végétation dense. À quelques pas, un homme en tunique blanche l'observait, un panier de poissons à la main. Le garçon écarquilla les yeux.

— Ka fo ni? A be o tɛ? (Tu es vivant ? Tu es tombé du ciel ?)

Michael resta muet. Les mots venaient d'une langue étrangère, mais... il la comprenait. Instinctivement. Comme si elle avait toujours été là.

Il bredouilla :

— N... ne n'bɛ Michael. N t'a ni wuli... (Je... je suis Michael. Je ne comprends pas...)

Le pêcheur cligna des yeux, puis lui tendit une natte et lui fit signe de le suivre. En silence, à travers une savane rougeoyante de chaleur et de lumière dorée, Michael marcha, luttant pour ne pas s'effondrer.

Chaque pas le rapprochait d'une vérité terrifiante.

Le village apparut au détour d'une colline. De petites huttes de boue séchée avec des toits de chaume, disposées en cercle. Un grand arbre sacré au centre, suspendant des amulettes de coquillages et de peaux d'animaux. Des femmes pilonnaient le mil. Des enfants riaient, pieds nus, insouciants.

Mais ce n'était pas une reconstitution. Ce n'était pas un rêve.

C'était vivant.

Les regards se tournaient vers lui. Murmures. Suspicion. Une vieille femme s'approcha, appuyée sur un bâton. Ses yeux semblaient porter le poids d'un siècle d'histoires.

Elle parla, lentement :

— L'esprit du fleuve t'a rejeté. Tu n'es pas né ici, mais tu portes la marque des prémices.

Elle lui tendit une petite amulette. Un pendentif en or, en forme de lion stylisé.

— Tu es Moussa, fils de Keïta.

Michael sentit son sang se figer.

[Moussa... ? Keïta... ?]

Impossible.

Mansa Moussa ? Le futur empereur ? Le roi légendaire qui fera trembler les sultans et les papes par sa richesse et sa sagesse ?

Il chancela.

Les souvenirs de son monde — les ordinateurs, les lois quantiques, l'intelligence artificielle — semblaient s'effondrer sous ses pieds.

Il leva les yeux vers le ciel. Le soleil descendait lentement derrière les arbres géants. Les tam-tams reprenaient leur rythme. Il n'y avait pas de réseau. Pas de technologie. Rien, sauf la terre rouge et le destin.

— Qu'est-ce que j'ai fait... ? souffla-t-il.

✴️ C'était un autre monde. Un autre temps. Et il y était seul.

Mais dans ce chaos primitif, une idée naquit.

« Et si j'étais ici pour une raison ? »

« Et si l'Afrique avait, à travers moi... une seconde chance ? »

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