** Ce chapitre comporte des scènes pouvant heurter la sensibilité du lecteur. **
Oroxek s’approcha, sa taille plus imposante que jamais.
- Tu perçois l'existence comme une dualité, Noé : lumière et ombre, bien et mal, maître et esclave. Mais ce sont là les limitations du conscient fragmenté. La vérité transcende ces dualités. La lumière n'est qu'une fréquence, l'ombre son absence. Tiana te parle d'harmonie, de connexion. Mais l’harmonie n’est qu’un état transitoire, et quand tu baisses tes vibrations, elle disparait. C'est une danse qui s’arrête sans avoir commencé. La véritable liberté n'est pas de participer à cette danse, mais de définir la musique elle-même ; de dicter le rythme.
Je ne voulais pas acquiescer, mais ses paroles, si profondes, transperçaient la barrière que je lui imposais.
- L'ego n'est pas une faiblesse. Ceux qui cherchent à le transcender ne font que le réprimer, le déguiser. Ils renoncent à leur droit inaliénable de modeler la réalité à leur image parfaite. Ils choisissent la sécurité d'une petitesse illusoire plutôt que la grandeur vertigineuse de l'autocréation absolue. Je ne te propose pas de dominer les autres, Noé. Je te propose d'être la domination. De devenir l'axiome fondamental, la loi unique par laquelle toute existence se plie. Ce que tu as expérimenté ici n'était qu'un aperçu. Une goutte dans l'océan de ce que je peux te révéler. Accepte le pacte, et je te dévoilerai l’étendue de ce pouvoir.
Alors que j’étais sur le point d’accepter, le phare se mit à briller devant moi, me rappelant son existence. Le phare me répondait. Ce ne fut pas une voix, mais une sensation.
Il me montra la solitude infinie de l'être unique, la vacuité de la perfection sans partage.
Le royaume parfait d'Elstrus n'était qu'une réplication stérile de moi-même, un écho sans fin où la gloire n'avait aucun sens sans contraste, et où la puissance était une chaîne.
Le phare me rappela l'atrocité de la manipulation de l'elfe, non pas comme un acte isolé, mais comme la conséquence inévitable de cette soif d'absorption totale.
Si j'étais l'unique nécessaire, alors toute autre conscience devait être niée ou consommée. Ce serait la mort de l'altérité, et avec elle, la mort de l'Amour véritable.
La lumière me révéla que le pouvoir absolu d'Oroxek n'était pas la liberté, mais la prison et l'isolement. C'était une spirale descendante de consommation, où, après avoir absorbé tout l'extérieur, l'ego finirait par se consumer lui-même.
Oroxek, dont la perception était sans faille dans cette réalité, sentit la réponse du phare en moi. Son aura s'intensifia, une fureur froide balayant l'espace. Il comprit que je n'étais pas encore entièrement sous son emprise, que la lumière de Tiana persistait.
- Ah, le murmure de la petite lumière, dit Oroxek, sa voix claquant comme des pierres de basalte. Elle te parle de dangers, de solitude, mais c'est sa propre peur de l'infini, Noé. Elle t'attache à une existence limitée par des principes qu'elle a elle-même créés pour maintenir son propre contrôle sur toi.
Puis, il étendit sa main devant moi et détruisit le phare devant moi. Ce n’était pas une destruction physique, mais une destruction métaphorique.
La lumière faiblissait à petit-feu, évaporant ses particules dans l’air.
- Elle te manipule, Noé, continua Oroxek, ses paroles remplies d'une amertume glaciale. Elle t'a offert ce phare comme une chaîne invisible, te faisant croire que tu choisis la lumière, alors qu'en réalité, tu ne fais que te soumettre à sa vision du bien. Elle t'a dit que l'exploration de ton ego était dangereuse parce qu'elle craignait que tu découvres que sa propre lumière est une limitation, que sa vérité est une domestication de l'esprit. Elle t'a montré la solitude de mon chemin, mais elle t'a caché la faiblesse de sa propre perfection, la petitesse de sa propre existence où tout est défini et jamais véritablement illimité. Tiana n'est qu'un autre geôlier, Noé, qui utilise la douceur et la promesse d'une harmonie trompeuse pour que tu restes dans sa petite cage dorée.
Tout d’un coup, une baffe interne participa au jeu. Elle m’avait montré la faille du discours d’Oroxek, le mensonge dissimulé dans des vérités.
Ce n’est pas Tiana qui a créé ce phare, mais moi-même. J'étais tellement assoiffé de pouvoir, intrigué par ce concept, que je me suis perdu dans ses paroles.
Moi-même, Noé, qui avais créé cet univers de paix dans la demeure de Tiana. Moi-même qui l'avais conçu comme une ancre, une balise de retour. Ce phare n'était pas une création extérieure, une manipulation de Tiana ; c’était ma bouée de sauvetage au cas où une situation pareille se produisait.
Je m'étais perdu non pas à cause de la force d'Oroxek seule, mais parce que j'avais laissé mon ego me guider dans cette exploration.
J'avais oublié que la véritable épreuve n'était pas de comprendre la force de l'ego en l'incarnant, mais de le dépasser.
Je levai les yeux vers Oroxek, dont la forme sombre semblait s'imposer encore davantage dans l'espace qui se fracturait.
Je le vis sourire la tête penchée, un sourire narquois et provocateur. Il semblait avoir compris que je ne me soumettrais jamais à son pouvoir.
Le contrat était rompu, le jeu démasqué. Oroxek avait prévu la soumission, la révélation de la vacuité, mais pas ce retournement de la conscience.
Sa forme massive se crispa, l'obscurité autour de lui se densifiant jusqu'à devenir presque solide. La placidité cosmique de son aura se fissura pour révéler une colère primordiale, une fureur brute qui n'était pas celle d'un roi déchu, mais d'une force de la nature dépossédée de son dû.
- Tu as percé le voile, petit esprit, gronda Oroxek. Tu as refusé le trône que tu as toujours convoité, parce que tu t'es souvenu d'une lumière que je t'avais promise d'effacer. Tu ne seras donc jamais sous ma tutelle, ni un écho de ma gloire.
La menace fut instantanée. Oroxek projeta une main immense, tissée de ténèbres compressées, et s'agrippa à mon cou avec une force à glacer le sang.
Puis, Oroxek se mit en mouvement. Il ne marcha pas, il volait, me traînant derrière lui à travers les couches d'épaisseur de la réalité. Chaque dimension était un voile, une membrane énergétique que nous traversions à une vitesse inouïe.
À chaque impact avec ces couches, ma tête les tapa violemment, ouvrant mon crâne et laissant du sang y sortir. La douleur était atroce, un véritable supplice.
Au milieu de ce chaos et de ma souffrance, Oroxek hurlait de rire, empli d'une frénésie et d'une satisfaction perverse.
Un son qui n'appartenait pas à une entité pensante, mais à un être qui se délectait de la destruction.
Soudain, le mouvement s'arrêta. Mon corps astral était suspendu dans un vide sidéral.
Oroxek s'abaissa, sa forme massive projetant une ombre plus grande que n'importe quelle galaxie.
Il saisit mes pieds et commença à me faire tourner comme un tourniquet. Je n’étais qu’un simple jouet, une pauvre crotte qui se fait aspirer par la chasse d’eau.
À chaque rotation, je vis les dimensions, la lumière, l’ombre, s’approcher et s’éloigner, tel une remontée intestinale après vomissement.
À chaque fois, mon visage revenait vers les yeux sans pupilles, sans âme, d’Oroxek. Elles me fixaient d’une satisfaction et fascination pour l’horreur qu’il m’infligeait.
Sans un mot, ni un autre rire, il tendit une ombre tentaculaire, faite de la même ombre primordiale que son corps, et d'un geste brutal, arracha mon œil.
Il le mit sur sa bouche et le mangea cul sec.
Oroxek accédait à mes souvenirs.
Mes expériences, mes joies, mes peines, mes désirs les plus intimes, tout défilait à une vitesse folle, non pour moi, mais pour lui.
La vision surgit alors, projetée directement dans mon esprit par Oroxek, une image plus nette que n'importe quelle réalité. J'étais le spectateur d'une scène insoutenable : Laura et Chris, mes anciens repères, s'engageaient dans une partouze de sexe.
Laura me regardait pendant qu’elle se prenait la bite de mon meilleur ami. Elle jouissait de sa queue. Elle le branlait. Elle ne faisait que me regarder pendant tous ses gestes.
Chris se moqua de moi, disant que je n’étais qu’une merde à ne pas savoir concrétiser avec les filles, que l’amitié n’est qu’un prétexte pour baiser la meuf de l’autre. C'est ce qui l’excite, c’est ce qui le fait vivre.
Mon cœur astral se tordit de dégoût, de trahison, d'une douleur qui surpassait la torture physique. Et le pire, c’est que j’avais l’impression qu’ils avaient conscience de ma présence, et que c’est ce qui les motivait à continuer.
Je voulais vomir, purger cette vision de mon être. Mais Oroxek, anticipant mon réflexe, plongea une main d'ombre dans ce qui restait de ma bouche, bloquant toute issue.
La nausée monta, le dégoût atteignit des sommets, mais le vomi ne put remonter. Une pression interne insupportable s'accumula, et je sentis mon corps astral se convulser.
Un liquide immonde, le fruit de ma propre horreur psychique, ressortit par mes fesses, je chiais de vomi, une humiliation absolue et dégoûtante.
Oroxek rit de nouveau, ce rire profond et frénétique.
- La chair est un instrument de péché, mais l'esprit est un artiste. L'homme est un loup pour l'homme[1], et pour lui-même, il est un abîme. N'est-ce pas fascinant, Noé, de voir tes propres ténèbres se manifester ?
Dans la même brèche d'où il était sorti, Oroxek plongea une main plus loin. Il en ramena une ombre, l'ombre qui m'avait initialement délivré de mon ancienne réalité, celle qui était censée me guider vers la lumière. Elle luttait, tentait de s'échapper, mais l'emprise d'Oroxek était implacable.
Il commença à s'amuser, me plongeant en l’ombre, puis me retirant, me faisant passer de la lumière la plus faible aux abysses les plus sombres, encore et encore. J'hurlai de douleur silencieuse, me tordant à chaque passage, mes filaments d'énergie se déchirant et se reformant.
C'était une torture répétée, une moquerie de la libération.
- Comme dans un parc d'attractions, n'est-ce pas, mon cher Noé ? La vie ne consiste pas à attendre que les orages passent, mais à apprendre comment danser sous la pluie[2], même sous une pluie de ténèbres.
Il m'attrapa ensuite par les cheveux, me soulevant brutalement.
Son pied massif se leva, avant de piétiner mon crâne.
L'impact fut cataclysmique.
Mon crâne se brisa, explosant en une myriade de fragments, ma conscience se dispersant dans le vide. La douleur était une déchirure absolue, la fin de tout.
Mais Oroxek n'en avait pas fini.
Une onde d'énergie sombre émana de lui, et les fragments de mon crâne commencèrent à se reformer, à se ressouder lentement, atrocement.
Chaque morceau reprenait sa place, chaque fibre nerveuse se reconnectait, reconstituant mon corps astral, me ramenant à une pleine conscience, juste pour ressentir à nouveau la douleur.
- La souffrance est une forme d'apprentissage, Noé. Ce qui ne me tue pas me rend plus fort[3], n'est-ce pas ? et je ne te tue pas. Je te forge. À mon image.
Je pensai que la torture arrivait à sa fin, mais la réalité me frappa de plein fouet.
Il décida d’appeler une de ses ombres du sol, ce qui s’apparente être un de ses sbires. Il lui ordonna de me regarder et de me faire connaitre les mêmes atrocités que j’avais commises à l’elfe.
Je n’en peux plus. Je veux mourir. S'il-vous-plait, que quelqu’un vienne m’aider. N'importe qui. Je vous en supplie. J'ai mal. Trop mal.
Oroxek me relâcha, me laissant flotter, brisé et dégoûté, dans le vide astral. Mon royaume d'Elstrus, déjà vacillant, s'effondrait sous la pression de la vérité.
Mais Oroxek ne voulait pas d'une lente désintégration. Il voulait une fin spectaculaire, une punition à la hauteur de mon refus.
Son immense main s'éleva. Il ne prononça pas un mot, mais l'intention fut claire. Puis, d'un mouvement lent, Oroxek claqua des doigts.
Le son fut le néant. Non pas une explosion, mais une implosion silencieuse, une annihilation instantanée.
Ce n'était pas une explosion de matière, mais un effondrement de la réalité elle-même, une rétraction violente de l'existence.
Je fus à l'épicentre de cette destruction. Les structures se tordirent, se défirent en particules de non-existence. Les couleurs s'éteignirent, aspirées dans un vide noir. Les sons furent réduits au silence absolu.
Je subis de plein fouet cette déconstruction. Et dire que je vais mourir après avoir découvert la beauté des réalités. Quelle tristesse.
Puis, tout fut noir. Un noir complet, absolu, plus profond que n'importe quelle obscurité.
Il n'y avait plus aucune lumière aux alentours, plus aucune trace de mon monde, plus aucune forme, plus aucun son.
J'étais perdu, suspendu dans cette absence totale, une solitude au-delà de toute compréhension.
Seuls les yeux d'Oroxek restaient et me fixaient avec une malice froide, une contemplation satisfaite de ma souffrance éternelle.
Il ne parlait plus par le son, mais sa présence elle-même était un message, un rire silencieux résonnant dans le vide de ma conscience.
- Qui lutte contre des monstres doit prendre garde de ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu plonges longtemps dans un abîme, l'abîme plongera aussi en toi[4]. Tu as cherché ma profondeur, Noé, et maintenant tu es ma profondeur. Tu as refusé le pacte, refusé la sagesse de ma souveraineté. Tu as cru pouvoir naviguer les eaux de ton ego sans te noyer. La vie sans examen ne vaut pas d'être vécue[5], mais l'examen aveugle mène à l'obscurité sans fin. Je suis le roi de l'astral, Noé. Et dans mon royaume, la seule loi est la conséquence inévitable de tes propres choix. Tu as choisi la rébellion, tu as choisi le néant. Jouis de ta liberté. La liberté de l'inexistence.
Le silence retomba, un silence si profond qu'il semblait écraser toute pensée. Seuls ses yeux perçaient l'obscurité, témoins de ma descente.
[1] Citation de Thomas Hobbes.
"Homo homini lupus est."
[2] Citation de Sénèque.
[3] Citation de Nietzsche.
[4] Citation de Nietzsche.
[5] Citation de Socrate.